Me voilà devant une page blanche.

J'avais décidé il y a longtemps que je devrais laisser quelque chose, peut être une trace écrite de mon existence, une dernière volonté... Je ne sais plus, mais quelle importance ? Cela me fait tout drôle d'écrire à moi-même, peut être que cette lettre est vraiment destinée à quelqu'un qui sait ? Je me plais à imaginer que la personne qui me lira ne m'a probablement même pas encore rencontré...


Je suis Shûya Omnyogi, j'aime les beignets frits, sentir le vent me balayer les cheveux sur le visage et entendre la pluie marteler les vitres sous un feu de cheminée. J'ai toujours vécu à Iteku, j'y ai grandis avec mon lot de souvenirs, de tracas et de bonheurs... Ces années sont passées tellement vite qu'en regardant en arrière je peine à me rappeler grand chose. Les visites familiales à Kyoto où tante Kosaki nous préparait toujours trop d'Ohagis, les excursions camping ou dans les montagnes où ma soeur succombait d'allergies... à chaque fois. Dans l'un de mes tiroirs se trouve un album avec la plupart de mes photos d'enfance, que je parcours régulièrement, comme pour m'assurer de ne jamais oublier.


Si pour moi ces souvenirs me semblent si important, c'est parce que je ne pourrai bientôt plus en faire d'autres. Je ne l'ai pas dit, mais je suis atteint d'une maladie rare qui fragilise mon corps, si bien qu'on ne me donne plus que quelques années encore. Pour être honnête, tout ça me paraît si étrange et irréel que je n'arrive même pas à me lamenter. La seule douleur que je ressens reste d'entendre les pleurs de mes proches quand je ferme les yeux, usés et fatigués par un combat qu'ils ne gagneront pas. Plus d'une fois, je me suis demandé s'il ne valait pas mieux que je disparaisse, qu'ils m'oublient et me retirent de leurs vies plutôt que de s'enraciner dans cette douleur.

Mais je suis trop lâche pour les en délivrer. Ou est-ce du courage de continuer ? Je me demande...


J'ai toujours été un enfant de constitution fragile, mais le printemps de ma seconde année de lycée j'ai vraiment senti mon corps se démanteler. Je ne pourrais pas vraiment l'expliquer, si ce n'est que je n'ai plus vraiment d'énergie ni de volonté, que même la plus petite des choses me demande du temps.

Mais étrangement, alors que je vois leurs visages tordus de douleur et leurs yeux gonflés de larmes moi-même je n'en suis pas triste pour autant. Depuis cet instant, je me suis mis vraiment à apprécier chaque instant, de peur de perdre un temps précieux. Parmi les choses que je m'autorise à faire, j'aime jouer du piano dans la salle de loisir de l'hôpital le plus et voir quelques têtes s'illuminer à ma musique me rendonne plus d'énergie que toutes les prescriptions qu'ils peuvent me donner.

Je ne sais pas vraiment où je veux en venir avec cette lettre, mais il me faut parler d'une dernière chose. Il s'est produit quelque chose d'étrange à Iteku récemment, tout le monde en parle donc je ne m'étendrai pas à ce sujet de la radio Mayonaka. Seulement qu'on m'a fortement déconseillé de partir, mais que si je le voulais on ne m'en empêcherait pas.
Ils m'ont averti que mon espérance de vie se raccourcirai à chaque entrée et mon indécision a eu raison de moi. J'ai peur de mourir, oui, mais pas seulement. Je ne sais pas exactement de quoi, mais quelque chose me terrifie à l'idée de rejoindre ce nouveau monde. Et elle m'obsède également, je n'en dors plus à penser à cette aventure...


Je serai probablement parti bien avant si je n'avais eu ma mère en pleurs me suppliant de rester, ou encore mes amis me convaincre que ce monde n'en valait pas ma vie.


Pourtant, alors que je me dirigeais vers un concert ayant lieu près de mon école primaire, je me suis décidé à changer de direction et avant même de m'en rendre compte... Je n'étais plus à Iteku.


La seule chose dont je me souviens, c'est d'un fauteuil de soie dans une salle sombre d'un bleu resplendissant où se dressait devant moi une table avec diverses cartes de tarots.