Mon samedi matin était ennuyeux. Il y a eu un violent orage hier soir, et depuis les lignes internet sont coupées là ou j'habite. Du coup, pas moyen d'aller en Noerphilie aujourd'hui, même le super matos de mes parents n'y a rien fait. J'ai passé la matinée à me tortiller sur mon lit et à coiffer mes perruques. Du coup, après cette trépidente épopée, je me suis dis que j'allais revenir aux habitudes du bon vieux temps : le June Store! J'adore cet endroit, il y a le games panic, j'y ai passé des journées entières ! Mêmes sans ça il y a des cafés à thème, et des boutiques lolita. On trouve tout ce qu'on veut au June Store, c'est un peu comme la salle sur demande dans Harry Potter, mais c'est la réalité. Du coup j'y suis allée pour midi, j'ai mangé un bout au "Shippai" un bar restaurant où je vais souvent. J'étais plutôt calme aujourd'hui... Jusqu'à ce que je trouve cette magnifique robe. Oh mon dieu je l'adore, je l'a-dore. J'ai un sourire indécrochable depuis qu'elle est à moi. En fait je suis plutôt fière de mon achat, déjà parce que c'est un modèle unique, ensuite parce que toutes les filles du magasin ont passé leur chemin en voyant le prix. Je souffre assez de ma renommée pour ne pas culpabiliser de l'argent que j'ai, non mais oh !

Bref, Avec mon gros sac de chez "Lolita Concept", la couverture n'est pas flagrante. Pourtant je suis habillée d'une simple petite robe blanche, qui reflète parfaitement la nature sobre que j'arbore les jours de sortie. Il est 16h23, je ne vais pas rentrer à la maison, je n'en ai pas envie. Je n'ai qu'à rester là, à contempler les gens qui passent. Ils sont grands, petits, tous différents les uns des autres, et à la fois tellement semblables. Je suis au milieu de cette foule bondée, quoi de mieux qu'un Samedi pluvieux pour aller faire les boutiques ? Mais ils ne font que se croiser, passer les uns à côté des autres, comme si le mécanisme qui les animait avait pour ordre de ne pas prendre en compte les facteurs qui n'intervenaient pas directement avec lui. Tout marche comme des engrenages, comme sur des roulettes, mais au sens propre du terme. Des sortes de wagons, qui se suivent mais ne se touchent pas. Même la Noerphilie parait plus humaine que "ça". J'attends. Je veux que quelqu'un se heurte à moi, je voudrais que quelqu'un se rende compte de mon existence. Moi la fille invisible, dont tout le monde ne se souvient que du nom. Je ne suis pas mélancolique, je le précise car vous pourriez le croire, je suis simplement en quête d'attention. A part les allers-retours à mon lycée, cela fait un moment que je n'ai pas repris contact avec le monde réel, alors je m'interroge. Est-ce que ce phénomène à ampleur mondial a t-il eu un impact sur les gens? Pas vraiment, ils continuent leur train train quotidien, enfin ils ne dérobent pas à leur responsabilité.

Bien que personne ne m'ait remarqué, je ne me démonte pas. Au contraire. Je m'assois sur un banc et j'observe chacun des détails des personnes qui passent devant moi. Pas intéressant, banale, idiote, névrosée...ah, ah ! Tiens, elle me plait celle là. J'ai envie de lui parler, de savoir ce qu'elle écoute. Mais je ne vais quand même pas l'abordée comme ça d'un seul coup du genre "Hé salut t'as l'air cool". En fait, c'est pas vraiment mon genre. Je sors un petit carnet de mon sac et gribouille quelques mots, il faut trouver un subterfuge. Une impulsion et hop, je me mets à courir vers elle, accélérant mon souffle comme si j'avais joué ma vie sur ce trajet.

"Mademoiselle! Oui, vous, vous avez fait tomber ceci."

Lorsque je ne suis pas au travail, je suis chez moi. Ma colocataire devant la télé, moi devant le pc, mes chats sur les genoux. Casque audio, souris en main, je joue sans me prendre la tête tout en écoutant certaines de mes musiques préférées. Ce soir, pas de verres remplis d'alcool, juste de la détente. Un flash me brouille les yeux quelques instants, suivi de ce léger tremblement qu'émet un coup de tonner. Ma colocataire se retourne vers moi, je me retourne vers elle, style de dire "ça va, pas trop peur ?". Finalement, ce qui me fît le plus peur, c'est cet écran de pc complètement noir, ma centrale ne voulant plus se rallumer, et la télé ne captant plus aucune chaîne. Notre box venait de tomber dans le coma, et ce jusqu'à ce que cette bonne à rien d'assistance internet/télé/téléphone ne daigne bouger ses fesses pour réparer tout ça.

Rien d'autre à faire, je pars donc me coucher, pleine d'amertume et de haine envers la nature qui est totalement incompatible avec la technologie. Finalement, notre monde ne tourne plus lorsque nous ne sommes plus connectés. Triste fatalité. Chats de chaque côté, je m'endors, espérant que demain arrive vite.

Tout en étant à moitié endormie, et ne sachant que faire puisque ma colocataire était déjà partie, je me lève et file regarder dans le frigo s'il reste quelque chose de bon à manger. Il doit être environ 13h, mon ventre commence à hurler la mort, la famine, la guerre contre ce vide qui se trouve dans mon organisme. Pourtant, un yaourt se bagarre avec un choux dans le frigo. Une bouteille de lait quasiment vide. A moins d'avoir des goûts très particuliers, je ne pense pas pouvoir me préparer un repas avec ça. Je vais donc aller devoir faire les courses, alors que mes chats, eux, s’empiffre de croquettes de luxes et de pathé qui coûte une blinde. Finalement, ça a du bon d'être un animal de compagnie. Après m'être lavée, puis habillée, je grattouille la tête de l'un, puis de l'autre, tout deux me regardant avec un air triste, l'air de dire "t'inquiète, vas bouffer, promis on fait pas de connerie".

Arrivée au magasin, j'achète tout ce qu'il faut, musique dans les oreilles toujours. Passé la caisse, je me dirige donc vers la sortie afin de fumer, puis de retourner chez moi. Tête baissée, je me dis que mon sac de courses est bien lourd.

D'un coup, j'ai cette sensation étrange. Vous savez, lorsque vous n'avez pas de repères à cause de la musique, que vous n'entendez absolument rien, mais que vous sentez qu'une chose vous court après. Personnellement, mon cerveau a pensé à un sanglier. Allez savoir pourquoi. Je me retourne donc, et vois une petite demoiselle, bien charmante, cheveux roses, grands yeux, habillée de manière décadente. Je vois sa bouche s'ouvrir, avant de capter que je n'entends rien. J'enlève donc un écouteur.

- Hein ? Désolée mais j'ente...

Puis constatant qu'elle ne me regardait pas droit dans les yeux, je décide donc de fixer mon regard la où se dirige le sien. Par terre, un petit carnet, qui ne me semble pas m'appartenir, mais on sait jamais. Je me baisse, le prend, tourne les pages, avant de lire quelque chose que je n'aurais jamais écris.



Je ne m'appelle pas Mayu. Deux choix possibles, ce carnet est à elle, soit à la personne qui marchait devant moi.

- Moi c'est Mina, mais ce carnet n'est pas à moi ! Merci quand même princesse.

Le "princesse" que je sors machinalement à mes amies et qui vient de sortir tout seul alors que je ne la connais pas, me fait rougir. De nouveau tête baissée, j'ai honte de ce que je viens de dire.

Elle est là, avec son air désinvolte et ses deux gros sacs de courses. Elle a l'air à la fois tellement mature, et tellement détachée de ce monde. C'est un mélange paradoxal et fascinant. J'observe chacune de ses mimiques en espérant y voir un sourire ou de la surprise. En fait, je ne vois ni l'un ni l'autre sur son visage, mais plutôt de l'incompréhension, et je dois dire que ça m'amuse. Je suis pas si mauvaise actrice que ça finalement... Je ne suis pas sure que ce soit la meilleure présentation possible, mais en tout cas elle a le mérite d'être originale. Je ne suis pas associable, j'ai juste un handicap en ce qui concerne les relations humaines directes. Et ce n'est pas moi que je remets en cause, mais plutôt l'évolution de la société dans laquelle nous vivons. Je vais vous donner un exemple parlant, bien précis, et d'actualité. Regardez cette fille et moi. Quelle probabilité avions nous de faire cette rencontre, dans ce lieu, si je ne l'avais pas provoquée volontairement ? Aucune. C'est simple, les gens passent autour de nous, ils nous évite comme un panneau temporaire qui bloque le passage, ils pensent à ce qu'ils vont cuisiner ce soir ou se demandent s'ils ont bien fermé la porte... C'est anodin pour l'humanité de se déshumaniser, ironique non?

Bref, il fallait bien que je lui parle maintenant. Le truc difficile, c'est de ne pas passer pour une idiote, de ne pas avoir l'air d'une dingue, et SURTOUT, de ne pas la faire fuir. Déjà, je pense qu'il serait utile de clarifier la situation, histoire qu'elle comprenne ce qu'il se passe.

"Aaaaaaaah, mais c'est dingue! Je m'appelle Mayu aussi, ça tombe bien je viens de perdre mon carnet."

Le ton ironique ne laissait pas de doute à mon intention initiale, et alors que j'avais terminé ma phrase je tendais la main pour lui reprendre délicatement le carnet des siennes. Je ne voulais pas qu'elle le prenne mal, je suppose juste que si elle s'en va sans rien dire elle n'est pas bien différente des autres tout compte fait. Je range le petit carnet dans mon sac. Quand je relève la tête vers elle, je me rend compte qu'elle rougit un peu Je me demande d’où lui viens cette attitude face à une gamine comme moi, elle n'a aucune honte à avoir. Enfin, après seulement quelques secondes de réflexion, j'ai finis par comprendre d'où lui venait cette gène soudaine. Elle m'a appelé "princesse". Et ça ne m'a rien fait parce que c'est un surnom qu'on me donne souvent sur mon blog. En plus, avec mes cheveux roses détachés et la robe que je porte, pas étonnant qu'elle ait eu envie de me surnommer comme ça.

Pour essayer de la rassurer, et de lui faire oublier ce malencontreux incident, je regarde ses sacs avec insistance. Ils paraissent lourds, et à vrai dire je n'ai rien d'autre à faire. Je n'ai qu'à la raccompagner chez elle, peut être qu'à elle aussi un peu de compagnie pourrait lui faire plaisir. Surjouant chacun de mes gestes, je mets mes poings sur mes hanches et lui adresse un large sourire.

"Dis moi, ils ont l'air bien lourds tes sacs. Qu'est-ce que tu dirais que je te raccompagne chez toi? J'ai un parapluie, et avec tes deux mains de prise je doute que tu puisse tenir le tiens."

Je lançai un regard vers l'extérieur où la pluie s'était intensifiée, comme pour la convaincre de ma bonne foi.

Que faire lorsque vous êtes en face d'une personne que vous ne connaissez pas, qui vous accoste pour un carnet, qui de plus n'est pas le vôtre ? Rien. Il n'y a rien à faire, si ce n'est répondre le plus gentiment possible que ce n'est pas à vous. C'est ce que je venais de faire, un peu embarrassée. Pourtant, j'avais la nette impression que quelque chose ne tournait pas rond dans l'histoire, qu'un détail m'échappais.

"Aaaaaaaah, mais c'est dingue! Je m'appelle Mayu aussi, ça tombe bien je viens de perdre mon carnet."

Je relève la tête, plisse les yeux comme lorsqu'un officier de police interroge un suspect. Qu'est-ce qui lui est passé par la tête pour faire tomber son carnet et prétendre que c'était le miens... ? Elle doit me trouver sexy, en fait. Bon, elle est pas moche, mais un peu trop jeune à mon goût. Puis je ne sais même pas si c'est ça finalement, si ça ce trouve c'est une amie de ma colocataire. Cette dernière justement, qui m'a menacée un jour, me disant qu'elle avait me faire passer un test avec quelqu'un, pour savoir si j'étais vraiment dérangée sentimentalement. Elle avait choisi comme prétexte, que je ramenais trop de "coup d'un soir" et pas assez "d'histoire d'une vie".

Le fait est que, le petit bonbon rose qui se trouvait en face de moi, me faisait cogiter, à un tel point qu'on pourrait apercevoir de la fumer sortir de mon crâne. Bien joué petite, tu ne me laisses pas indifférente, tu me rends limite paranoïaque, j'aime bien. Penchant le haut de mon corps afin d'essayer de mieux cerner ses intentions, le bout de mon nez est à quelques centimètres du siens, alors qu'elle fixe sans hésitation mes sacs.

"Dis moi, ils ont l'air bien lourds tes sacs. Qu'est-ce que tu dirais que je te raccompagne chez toi? J'ai un parapluie, et avec tes deux mains de prise je doute que tu puisse tenir le tiens."

C'était donc ça. J'avais finalement raison, ma colocataire avait envoyé cette espionne afin de me tester. Elle me propose son parapluie en plus, peut-être histoire de marcher côte à côte, pour me séduire. Puis je n'ai pas le souvenir d'avoir vu de la pluie sur le chemin, mais son regard me dit le contraire. Depuis combien de temps j'étais dans cette galerie pour ne pas me rendre contre que j'allais me taper la saucée du siècle ? Surtout que je n'ai pas de parapluie avec moi, et je n'en ai jamais eu chez moi non plus. Pas de clope donc sur le retour, de quoi me rendre tendue.

Je ferme les yeux et secoue la tête, essayant de me convaincre que je suis totalement barge d'imaginer ce genre de chose. Après tout, certaines personnes sur cette terre sont encore aimables, courtoises, gentilles. Je baisse de nouveau la tête et fixe mes sacs de courses avec embarras, tenant les sacs avec fermeté, genre "touches pas à mes affaires". Puis je me ravise, me relaxant petit à petit, relâchant mes doigts. Je pose le sac que j'avais dans ma main gauche, le plus léger, en face d'elle. Ne pas non plus la prendre pour une bonniche, être sympathique Mina, être sympathique. Je tourne les talons et me redirige vers la sortie.

- Ça te dérange si je m'en grille une sur le chemin ? Je t'avoue que ça me rendrait un peu plus sympa et détendue... !

Non, ce n'était pas une excuse bidon pour excuser ma froideur. C'était la simple vérité. La clope, pourrissant mes poumons, me rappelant à chaque bouffée de fumer que la vie est courte et qu'il faut en profiter. Comme quoi, faire de la merde, c'était pas si néfaste que ça. Bon, j'admets qu'après lorsque je veux draguer, sentir la clope c'est pas le top. M'enfin, en soit, c'est pas comme si je sentais la merde, donc bon. Puis ça donne un petit charme aussi, côté Rock, genre "je suis une femme fatale et je le sais".

Je ne sais pas encore si une fois rendues en bas de chez moi, je vais la faire monter ou pas. Elle dois sûrement aimer les chats, après tout. Puis au moins ça me fera faire quelque chose vu que ma box ne fonctionne plus. D'ailleurs j'ai pas appelée le service client, faut vraiment que je le fasse. Sortant l'une des clopes de mon paquet, sans pour autant avoir eu la permission, je me remémore ces nombreuses scènes de films ou la fille est en bas de chez elle et propose au garçon de monter prendre un café. Puis bien entendu, on sait comment ça ce termine. Un petit câlin, un lit qui les appelle, etc. Cette pensée me fait sourire, je me retourne, clope au bec, sourire aux lèvres.

- On y va ou on se touche ?

J'pense qu'elle m'aime bien.
Enfin au moins elle ne me déteste pas. La jeune femme a posé délicatement un de ses deux sacs sur le sol, je suppose qu'elle n'abandonne pas la moitié de ses courses, mais me les confie. En même temps, j'ai envie de vous dire, je n'ai pas vraiment l'air d'une S.D.F en besoin qui s'apprête à lui voler ses deux poireaux et ses 4 litres de lait. De ce fait, je ramasse le sac -que je trouve extrêmement lourd soit dit en passant- et la suit jusqu'à la sortie. Devant le centre commerciale, il y a une immense terrasse qui abrite toutes celles des différents cafés du rez-de-chaussée, et heureusement ils ont installés un toit de devanture pour abriter de la pluie. On s'arrête là, elle me demande si elle peut allumer une clope. C'est ultra poli ça dis donc, enfin ça l'aurait été si elle avait attendu la réponse. Du coup, la question rhétorique m'amuse et je laisse échapper un petit rire.

J'aime l'odeur de la cigarette. Je ne fume pas, vu la taille de mon corps, je n'ose pas imaginer celle de mes poumons... Je suis sure que je mourrais instantanément du cancer si je ne fumais ne serait-ce qu'une seule cigarette. Mes parents fument beaucoup, c'est parce qu'ils sont constamment plongés dans une situation de stress intense. Ils ne savent pas vivre autrement je pense, ils seraient malheureux dans une vie paisible, il y a certaine personnes comme ça... Depuis que je suis petite, il n'y a que lorsqu''ils fument que je peux parler avec mes parents. J'aime l'attitude que ça donne, j'aime le mouvement, le détachement que cela crée lorsqu'on recrache la fumée. Je la croyais volontiers quand elle m'a dit que ça la rendrait plus "sympa et détendue" mais à ce point là?

- On y va ou on se touche ?

Je me demande quel âge elle me donne. Je me demande si elle a conscience de ce qu'elle vient de me dire, si c'est une erreur du style "princesse" où si elle est simplement elle même sans se poser trop de questions. Dites vous bien que ça ne me choque pas, au contraire ça me fait beaucoup rire, d'ailleurs je ne le lui cache pas. Dans le monde virtuel dans lequel je baigne depuis des années entières maintenant, il n'y a pas de limite au langage, à la pensée, et aux mœurs sexuelles. Les gens sont libérés de toute contraintes, moi y compris. Mais la réalité est tellement différente, tellement fade et censurée... C'est amusant et irréaliste de voir quelqu'un me sortir ça, quelqu'un que je ne connaissais pas 10 minutes auparavant.

A ces mots, je pose son sac, ouvre mon parapluie. Bon ok, je crois qu'il s'impose une petite description de mon parapluie. J'espère qu'elle n'a pas peur du ridicule. Tout semble normal jusqu'à ce que, une fois totalement ouvert, deux petites oreilles et un visage adorable de panda font surface. Disons que mon interlocutrice n'a pas l'air vraiment du genre à adorer tout ce qui est... "kawaii" vous voyez? Elle est une de ses beautés sombres, qui n'a pas l'air d'attacher beaucoup d'importance à ce qui est "mignon". Enfin, puis-je me tromper et déclencher en elle un engouement particulier pour ces petites bêtes noir et blanches.

Bien évidemment, c'est elle qui a donné la direction initiale, mais maintenant je ne sais plus bien qui dirige qui. On marche côté à côte, sur un rythme ponctué par le son des gouttes de pluie fracassant le sol. Un silence commence à s'installer. Il est naturel, ainsi il ne me gène pas vraiment, de plus nous sommes comme enveloppées dans une symphonie rurale. Les gens qui passent, les enfants qui jouent, sautant à pieds joints dans les flaques d'eau, sans épargner les nombreuses voitures qui klaxonnaient, tentant de se frayer un chemin dans ces rues dites "piétonnes".

Enfin, au bout de quelques minutes, je me rappelle que la raison première pour laquelle j'ai accosté Mina, est d'apprendre à la connaitre. Le silence peut être fort agréable, mais ne m'aidera pas dans ma quête. De quoi pourrais-je lui parler? Hum, de ses cheveux que j'adore, de la musique qu'elle écoutait, ou bien encore pourquoi elle a commencé à fumer. Autant de sujets potentiellement abordable, mais il me semble qu'aucun d'eux ne débouche sur quelque chose qui m'intéresse. Ah, la voilà la bonne question : qu'est ce qui m'intéresse ? Les jeux vidéos bien sur. Après tout, un sujet dont je suis sure de pouvoir parler avec elle, c'est bien de ça.

"Tu es de la communauté Noerphilienne ?"

Alors que la musique présente dans mes oreilles donne un rythme à notre marche, Mayu me demande si je suis déjà aller en Noerphilie. Le temps que mon cerveau mette la musique de côté pour écouter sa question et formuler une réponse, une bonne minute était déjà passée. Mon appartement étant encore à au moins cinq minutes, j'avais donc le temps de répondre à sa question.

- Ouais, j'y suis allé trois fois. La première pour voir un peu, même si ça m'a l'air vachement grand. La deuxième pour me changer un peu les idées parce que j'en avais marre du taf et aussi pour parler avec mon Persona même si elle est pas très causante. La troisième... je sais même plus pourquoi. Pour voir encore, pour parler, comprendre à quoi ça servait d'avoir un deuxième monde, parce que finalement en trois fois, j'ai pas vraiment vu la différence entre la Terre et ce monde la... fin j'sais pas si tu vois ce que je veux dire...

Ouais, je venais de lui faire un paragraphe argumenté presque. Mais c'est vrai, je comprends toujours pas pourquoi un deuxième monde a fait son apparition, sachant qu'on galère déjà pas mal dans le monde actuel. Après, niveau "magie", c'est certain qu'il y a un gros changement. Mais pour moi, ce deuxième monde n'est qu'un prétexte pour les froussards de ne pas se battre dans la vie actuelle.

Alors qu'une rafale de vent venait de ravager ma cigarette et ma coiffure par la même occasion, je pris le temps de réfléchir à l’engouement que j'avais eu la première fois que j'étais aller en Noerphilie. J'étais surexcitée, impatiente de découvrir les nouveautés que ce monde aurait pu offrir. Finalement, je n'y ai vu qu'une pâle copie de la Terre, avec quelques modifications cependant.

- Après, je vais pas juger directement, on va voir avec le temps. Toi, t'en penses quoi ?

Comme tout bon humain sur terre, je juge un peu trop rapidement de ce que pense les gens, de leur façon de voir les autres, etc. Leur style vestimentaire et leur façon de parler m'oriente vers un jugement qui parfois n'est pas le bon. Ainsi, je mets les gens dans des cases. Pour moi, Mayu était la fille typiquement joyeuse pour un rien, se donnant un style décalé pour attirer l'attention, même si en soit elle n'en avait guère besoin. Cette fille devait avoir une bonne situation financière et devait être une fille à papa. En soit, la réponse à laquelle je m'attendais concernant son avis sur cet autre dimension, était clairement "J'adore, ça permet de faire tout ce qu'on ne peut pas faire ici, puis de voir d'autres gens, d'être libre". Comme je le disais donc, de fuir la réalité. Puis finalement, elle pourrait me répondre l'inverse, mon jugement sur elle resterait le même. Car je ne connais rien d'elle, et tant qu'elle n'aura pas contredit mon avis en m'expliquant sa vie, ça ne changera pas.

Quelqu'un interrompit mes pensées profondes pour me demander un briquet. Alors que l'inconnu bien habillé me rendait mon feu, je pris le temps d'observer de plus près les mimiques de Mayu, sa façon de se tenir, de regarder les autres, sa façon d'être la. Ses airs de fille fragile, mais qui dans le fond ne montre pas ses émotions. Un peu comme moi, qui pense à longueur de temps à plein de choses, mais qui n'en parle pas. Entre ma question et maintenant, il avait dû s'écouler même pas trente secondes, puisque j'avais toujours la même musique dans les oreilles. Je ne lui laissa même pas le temps de répondre avant d'enchaîner.

- Tu voudras monter voir mes chats ? J'pense qu'ils seraient contents de voir une autre tête que la mienne !

Je ne pensais pas vraiment qu'elle prendrait cette question au sérieux. J'imaginais plutôt un sourire approbateur, à la limite du hochement de tête, du genre "ouai mais j'ai pas envie de t'en parler.". Au final, ah elle me raconte tout de son plein grès, j'aime les gens qui se livrent, qui n'ont pas peur de dire la vérité. Je me demande si je peux être moi-même avec Mina, ou s'il vaux mieux que je reste comme ça, simple et gentille, sans exagérer ni crier partout. Je sais que ça la gaverai. Je vais m'abstenir pour le moment, et garder mon calme.

Bref, qu'est-ce que m'apprend la demoiselle? Bon déjà qu'elle y est allée trois fois, donc qu'elle n'est pas complètement inexpérimentée en la matière. Ensuite, plus intéressant, elle est de ses personnes accompagnées de ce qu'on appelle "Persona". Je ne suis pas bien renseignée à leurs propos, en quoi leur situation est différente, pourquoi je me bats seule et eux non. Est-ce qu'ils gardent leur apparence réelle, ou est-ce qu'ils changent physiquement aussi?  A vrai dire, si je n'aurai pas longtemps hésité avant d'accoster un Noerphilien accompagné d'un Persona, ce n'est pas la même situation avec Yumi. Bien que je sache qu'elle est en quelque sorte un reflet de ma personne, je ne peux pas m'empêcher de la différencier de moi-même. Elle est beaucoup plus froide, enfin disons timide pour être plus sympa. Quand je deviens Yumi, je ne me contrôle plus, je ne suis plus maitresse de ses actes ou paroles. Elle se dirige elle même, entretien ses propres pensées et désirs. Ainsi, une fois que je suis de retour dans la réalité, j'ai l'impression d'avoir vécu comme un rêve, mais le rêve de quelqu'un d'autre.
Pour en finir avec la tirade de ma chère interlocutrice, ce qui m'a le plus étonné reste sa conclusion.

"...parce que finalement en trois fois, j'ai pas vraiment vu la différence entre la Terre et ce monde la... fin j'sais pas si tu vois ce que je veux dire..."

Que dire ? Sottise? Certainement pas. Réalité ? Je ne crois pas non plus. En fait, la vérité des choses est bien plus complexe que ça, selon moi. Les deux mondes sont radicalement différents, je m'explique : les décors déjà. En Noerphilie on est plongés dans des paysages somptueux, et bien qu'ils restent factices, on peut toucher l'herbe, se baigner dans les immenses lacs, sentir le parfum des fleurs. Comment nier cette réalité comme alternative à la nôtre? En fait, je pense que Mina est simplement désabusée, et qu'elle ne profite pas de ce qu'elle a, que c'est un problème dans sa vie réelle, comme dans sa vie en Noerphilie.

Moi je restais muette, je la regardai avec attention et empathie. je n'attendais pas que ce soit à mon tour de parler, simplement qu'elle m'ait dit tout ce qu'elle avait sur le coeur. A quoi bon lui dire ce que j'en pense ? Elle ne me connait même pas. Si je lui dis que je suis d'accord avec elle, elle sera satisfaite de la réponse mais pensera que je ne suis pas très originale. En revanche si je la contredis, ce ne sera pas très utile, car qui veut avoir tort face à une inconnue, plus jeune ?
Avant que je ne puisse répondre, un jeune homme de l'âge de Mina lui demanda un briquet, je restais en retrait en pensant qu'il s'agissait là d'une tentative de drague plutôt commune en ce monde. Mais l'inconnu reparti aussitôt après lui avoir rendu, ce qui donna à Mina une belle transition pour reprendre la conversation.

"- Tu voudras monter voir mes chats ? J'pense qu'ils seraient contents de voir une autre tête que la mienne !"

"-Avec grand plaisir, j'adore les animaux, et à ce qu'il parait eux aussi m'adore."

Je me mis à rire franchement, tout en la regardant. Je préfère ne pas avoir à trop parler, j'ai toujours préféré écouter, depuis toute petite. Je ne sais pas si je suis en train de me faire une amie, non c'est trop tôt pour le dire... En tout cas ça me fait un peu peur. C'est la première fois que je parle autant avec quelqu'un en gardant cette personnalité, je veux dire, en étant pas moi même. Loin de vous l'idée que je suis schizophrène j'espère, car ce n'est pas le cas. C'est simplement que dans la vie, la vraie, si je puis dire, je suis trop frustrée pour me faire des amis.
Je n'avais pas non plus oublié les informations obtenues sur sa vie à Iteku, et je voulais en apprendre plus, la connaitre quoi.

"-Tu habites seule alors ? Et tu travailles ? C'est quoi ton job ?"

Spoiler:

Finalement, c'est moi qui me sens absolument à côté de la plaque. J'ai jugé sa potentielle réponse, et pourtant elle n'a même pas prit la peine d'y répondre, elle s'est juste contentée de me dire qu'elle aimait les animaux et qu'eux aussi l'aimaient bien. Je ne sais pas si c'est par politesse ou par timidité, ou si elle n'y est tout simplement pas au sujet de ce dont je lui parle. Elle est peut-être plus mature que je ne le pensais.

Alors qu'on est à quelques pas de chez moi, elle me demande si je vis seule et ce que je fais comme travail. Ce n'est pas une question qu'on me pose d'ordinaire, mais j'apprécie. Enfin quelqu'un qui se soucie de moi et de ce que je fais dans la vie. Enfin quelqu'un qui m'écoute et qui ne se fait pas passer en avant à la moindre occasion. Même si je n'apprécie pas plus que ça de parler de moi, j'essaie de répondre clairement sans détourner le sujet.

- Non je ne vis pas seule, j'ai une colocataire qui bosse toute la journée donc elle n'est la que le soir. Sinon ouais je bosse dans un bar, comme barmaid, tu t'en doutes. Je bosse tous les soirs, sauf le vendredi et le samedi.

On arrive enfin en bas de chez moi. Je m'arrête donc, histoire de lui faire comprendre qu'on y est. Je me tourne vers la porte d'entrée de cet immeuble banal, aux couleurs banales, au style un peu vieillot. La clef n'est pas difficile à trouver, j'ouvre la porte assez vite, puis fait un signe de la main à Mayu pour qu'elle entre. Dans le hall, quelques pots de fleurs, un grand miroir, des boîtes aux lettres. J'ouvre la mienne, au cas ou une facture serait arrivée pendant mon absence. Rien à l'horizon, je la referme, me dirige vers l'escalier. Mon appartement est au 4ème, Mayu me précède. Je lui fais un autre signe de la main, les quatre doigts en l'air, pour lui faire comprendre combien d'étage il faut monter. J'espère que ce n'est pas trop pour elle. Arrivées devant ma porte, la musique que j'avais laissée retenti encore. Je ne la reconnais pas. Mes chats eux, savent que je suis rentrée et se mettent donc à miauler, comme pour dire "on est toujours en vie, t'as été longue !". J'ouvre la porte, laisses passer Mayu une nouvelle fois. Galanterie oblige. Je referme la porte de mon appartement sans pour autant mettre le verrou, je ne veux pas inquiéter mon invitée de mes intentions.

Mon appartement est plutôt simple. Dans l'entrée, un porte-manteau et une étagère pour les chaussures. Après, on entre directement dans mon salon. Sur la gauche, mais légèrement en face, la cuisine, avec une table et des chaises. Juste à coté, sur la droite, le bureau avec le pc, cet espace est séparé de la cuisine par un simple mur. Ça, c'est ce qu'il y a en face lorsque vous êtes rentré. Complètement à droite, le canapé, avec la télévision en face, incrustée au mur. Puis, plus loin dans la pièce, les deux chambres. La mienne près du pc, et celle de ma colocataire près de la télé. Les toilettes et la salle de bain sont elles, du coté de la cuisine, complètement sur la gauche. Mon appartement est semblable à celui du manga "Nana", mais avec quelques petites différences.

- Alors euh, voilà mes chats... ils sont super câlins. Si la musique te dérange je peux l'enlever, pas de soucis.

Je pose le sac de course dans la cuisine avant de voir que j'ai un message vocal sur mon téléphone. Je compose donc le numéro de mon répondeur, puis attend que le message s'enclenche. C'est le service client de ma box qui me signal que mon réseau internet, ma télé et mon téléphone on été remis en état de marche. Un long sourire s'affiche sur mon visage, accompagné d'une petite danse de la joie. Je coupe le répondeur et me dirige aussitôt vers mon pc, le rallume, et vois ce magique petit logo qui me dit que tout est fonctionnel. Je mets en route mon jeu favoris, League of Legends, et vois les 15 notifications que m'ont envoyé mes amis. "T'es partie où ?", "Notre partie de ce soir ? T'as oublié ?!". Finalement, j'aurais mieux fais de rester sans réseau.

- Dis Mayu, tu joues un peu ?

Je me retourne vers elle. Mes chats eux, obnubilés par cette nouvelle arrivante, ronronnent comme des malades. En effet, elle a l'air d'être appréciée des animaux, c'est plutôt cool car aucun de mes amis n'apprécient les animaux plus que ça. Je me redirige une nouvelle fois vers la cuisine, puis me dis qu'il serait peut-être temps de proposer quelque chose à boire à mon invitée.

- Oh au fait, tu veux quelque chose à boire ?