D'aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours voulu chasser, broyer mon adversaire sous mes griffes et mes crocs, sentir sa peur lorsque la traque est sur le point de se terminer. Mais au final, tout était fade, vide de sens, je n'avais pas de but réel. Le temps qui passe n'avait pas d'emprise sur moi, je ne le sentait pas, je ne le connaissait pas.
Et puis un jour les miroirs sont apparus. Des objets sans importances pour moi, même pas digne d'être regardé. Puis des proies se sont mises à en sortir, à les traverser comme s'ils n'étaient que du vent. Alors j'ai chassé ces proies, de nuit plutôt, car de jour elles savaient se défendre un peu trop bien. Leur chair avait le même goût que les autres, rien de spécial, rien d'unique ! Pourtant je continuais à les traquer, jusqu'au jour où l'une d'entre elles prit la fuite à travers un de ces murs de verre. Pour moi il était hors de question de lui laisser la chance de m'échapper, mon corps était celui d'un dieu ! Je ne pouvais pas perdre !

Ma tête traversa la surface de verre, et c'est alors que la roue du temps commença enfin à tourner. Je senti mon corps changer, pas comme quand mon pouvoir s'active pourtant. J'étais allongé sur le sol, un sol mou et doux, je me relevais lentement. J'étais moins grand que sous ma forme de dieu. En face de moi se tenait ma proie, qui me regardait avec un air intrigué. Comment osait il ne plus ressentir de la peur ! Je déployais mes ailes et poussais un hurlement !

"Graaaaaaaaaa !"

Une seconde de silence, puis la proie se mit à rire. Qu'était il arrivé à mon rugissement ? Et à mes ailes ? Et mon armure d'écailles ? Je prenais enfin un instant pour observer mon corps, j'étais devenu semblable à une proie ! Mes bras et mes jambes étaient devenus chair, ma tête était couverte d'une touffe de poils fin, et même ma... Non, ne parlons pas de ça ici. J'étais perdu, alors que ma proie quittait la pièce en continuant de rire. Je fixais mes mains, me demandant ce qui avait bien pu se passer. Il fallait que je me reprenne, je secouais la tête et observais les lieux. L'endroit était désert, pas âme qui vive, mais je pouvais voir de nombreux miroir entourés d'un cube de métal noir que je ne connaissais pas. Il y avait une porte, donnant sur l'extérieur. Il faisait nuit ici aussi.
Je n'avais pas beaucoup d'option, je décidais donc de quitter la salle pour me rendre dans ce qui devait être la rue. J'y observais de grandes torches de métal qui diffusaient de la lumière, et quelques proies se baladant ci et là. Elles me regardaient toutes bizarrement, dégoûtées ou amusées, je ne comprenais pas.
Un frisson me parcouru, j'avais froid. C'est alors que je pris conscience de la situation. En mon état de dieu je n'avais pas besoin de me soucier de ma nudité, mais j'avais toujours constaté que mes proies la cachaient. Et je me retrouvais maintenant dans le corps d'une proie, mais sans les vêtements. Vite ! Il fallait trouver quelque chose, sinon je ne passerais pas la nuit. Un coup d’œil rapide dans la rue et je trouvais mon bonheur ! Des proies immobiles derrière un mur de verre, portant des vêtements noir et blanc. J'approchais rapidement sans me soucier des choses autour de moi. Il n'y avait pas de porte à ce bâtiment, juste une grille proche du mur de verre. Je décidais donc de me munir d'un objet contondant, à savoir une grosse plaque en métal que j'avais trouvé sur le sol et qui semblait dissimuler un trou. Mon corps avait un peu de mal à la soulever, mais ça allait, après tout j'étais toujours sous ma forme de dieu... Normalement. Je lançais l'objet en direction de la vitre qui se brisa sous l'impact. C’est à ce moment qu'un bruit strident se fit entendre depuis l'intérieur de la bâtisse. Je grimaçait avant de me lancer sur l'une des proies qui étaient tombées au sol après mon attaque. Mais une fois au dessus de ma proie je pris conscience que j'avais à faire à des mannequins, c'était un piège !

Sans demander mon reste j'emportais avec moi les affaires du mannequin et je traversais la rue aussi rapidement que mes jambes de proie me permettaient de courir. Il y avait de gros chariots de métal arrêtés au bord de la route, mais je n'avais pas le temps pour ce genre de détails. Je tournais dans une rue un peu plus petite et reprenais mon souffle. Le piège n'avait apparemment pas fonctionné puisque j'étais toujours en vie. Je pris un peu de temps pour mettre les vêtements que j'avais gagné après ce rude combat. Voila ! J'étais désormais camouflé. Ma vie pouvait enfin débuter.
Je pris un instant pour réfléchir à ce qui venait de se passer. De toute évidence j'avais transcendé ma simple existence en tant que monstre. J'étais devenu une proie, non ! J'étais devenu un être capable de se mouvoir à travers leur société pour mieux les asservir. Oui ! Il semblait clair que j'étais réellement un dieu, et mon ascension commençait aujourd'hui !