La maison était trop grande, trop vide et pourtant trop pleine de ces souvenirs. Sur chaque meuble, dans chaque pièce, les photos du passé me regardaient : grand-père, grand-mère, ma mère quand elle était jeune et moi-même lorsque j’étais enfant. Le tic tac de l’horloge devenait assourdissant et la solitude trop lourde à porter. C’était dans ces moments là que je regrettais mon choix de rester ici. Mais alors j’imaginais des étrangers prendre possession de ce lieu, de mon héritage, de ces murs pleins de souvenirs et ça me faisait mal à l’estomac rien que d’y penser.

Alors dans ces moments là, lorsque je sentais ce lourd voile de tristesse et de solitude s’abattre sur moi et que je ne le supportais je n’avais qu’une solution. Mon bras traversait l’écran du salon et je me retrouvais de l’autre côté du miroir, tout comme Alice. Et je m’échappais. De l’autre côté mon oeil droit prenait une couleur brun jaunâtre. Mes yeux bleus ont toujours été un mystère pour moi, l’héritage d’un père inconnu. J’aurai aimé les avoir bruns, comme mes grand-parents. Mes vêtements se changèrent pour un kimono noir, surmonté d’un haori de la même couleur et d’un hakama ligné gris et noir. Rien de plus traditionnel. Je portais plus de noir récemment. Il paraît qu’on est attiré par les couleurs dont on a besoin. Et bien, on dirait que j’ai encore besoin de noir.

En Noerphilie, tout était différent. Les couleurs vibrantes, l’aventure qui m’appelait. Il faisait encore jour quand j’arrivais à Parrev, mais plus pour longtemps. Je faisais un petit tour en ville, à la recherche d’un visage familier, un peu de compagnie. Je n’aimais pas vraiment m’aventurer seul hors de la ville, on ne sait jamais si quoi on peut tomber. Mais aujourd’hui, je ne retrouvais personne. Tant pis. J’invoquais Tenshi, mon persona. Plus grand de moi d’une bonne tête il me salua. J’ai toujours trouvé un peu pompeux de ma part d’avoir un persona qui avait l’air si ...comment dire… angélique ? Mais d’un autre côté, ce n’était pas comme si j’avais choisi ! Peut-être que ces rumeurs sur le net sont vraies. Peut-être que si tu es assez vieux et toujours puceau, tu finis par avoir des pouvoirs magiques. Ou un persona angélique. Qui sait ?  Ses yeux bleu clair me toisèrent un instant. Il ne parlais pas beaucoup, pas plus que nécessaire.

 Je crois bien que ça va être juste nous deux aujourd’hui, Tenshi.

Ca me convient.

répondit-il.

Alors nous nous sommes dirigés vers les plaines d’Huryl. C’était ce qui nous attendait directement à la sortie de la ville. Je n’avais pas l’intention d’aller trop loin - surtout seul. Mais un peu d’entraînement et d’exploration ne pouvait pas me faire de mal. Nous longions la rivière, en attendant que le soir tombe. En Noerphilie le soir tombe brutalement d’un seul coup et les shadows sont de sortie. Je me sentais déjà plus léger, prêt à en découdre - mais de façon responsable bien sûr. Il serait stupide de se blesser et de mourir là tout seul. Les grands espaces de la noerphilie, les couleurs, les nuages… je me sentais déjà plus léger.

La nuit tomba et les shadows commencèrent à apparaître. Dans les plaines, ils sont généralement faciles à éliminer. Ils forment de petits groupes séparés, des sortes de monstres rats, loups ou encore aviaires qui attendent la nuit pour attaquer les pauvres âmes qui s’étaient perdues. Mais je n’étais pas une pauvre âme et Tenshi et moi comptions bien nous défendre. Alors un par un, nous avons éliminé les obstacles qui se dressaient sur notre chemin. Et tout allait bien. Nous étions sur le chemin du retour quand un groupe de shadows rampant nous attaqua. Ce n’était pas grand chose, en tout cas rien que nous ne puissions gérer ensemble. En revanche quand un autre groupe  nous fonça dessus sur le côté, ça commençait à sentir le roussis. Je n’avais pas l’habitude de gérer deux groupes en même temps et Tenshi ne pouvait en attaquer qu’un à la fois. Nous nous sommes prudemment retiré près de la rivière, mais les créatures continuaient à nous courser. C’était mauvais, je commençais à me fatiguer et en plus il n’y avait pas d’écran en vue.

 Merde, merde...merde...

Je croyais que la rivière serait un point de sécurité. Je me trompais.  Quelque chose de tentaculaire sortit de l’eau. Répugnant. Le truc essaya de s’enrouler autour de ma jambe. Je poussais un cri de dégoût et de peur et m’agitant comme un possédé pour me défaire de cet espèce de poulpe malformé. Tenshi sortit son arc et transperça le truc qui ressemblait vaguement à un poulpe. Mais malheureusement ses petits frères venaient à la rescousse. Nous étions pris au piège. Impossible de fuir pour l’instant. Nous n’avions plus qu’une carte à jouer. Tenshi me protégea de ses ailes, formant un bouclier autour de nous. La masse d’ombres continua de nous attaquer.

Ils sont trop nombreux… ils vont briser le bouclier...

Tenshi faisait ce qu’il pouvait pour le maintenir, son cristal brillant d’un bleu vif. Il faisait de son mieux. Le bouclier s’effrita, incapable de renvoyer les attaques ennemies. Tenshi se chargea de nous défendre mais ce n’était pas suffisant. Je ressentais une douleur dans mon dos alors que mon persona se faisait griffer au niveau des ailes. Les ombres essayaient de me grimper dessus, je me débattais comme je pouvais, déterminé à ne pas me laisser envahir. Mais la situation était critique. Pas question d'abandonner

Je dois admettre que c’était très loin d’être un moment de gloire ou de fierté. Je me retrouvais dans un bon pétrin et si j’avais le temps d’ réfléchir… c’était stupide. Parfaitement stupide. Ce qui était supposé être prudent, un simple petit entraînement avait tourné franchement mal juste à cause d’une erreur, d’un moment de distraction et tout était devenu complètement hors de tout contrôle. Au moins j’avais appris une chose, en ce qui concernait mon persona, il valait mieux prendre de petits groupes voir des cibles solo. Mais et si c’était la dernière chose que j’apprenais de ma vie ? Non, pas question d’abandonner ici.

Un de ces trucs tentaculaires m’attrapa par la cheville et m’attira dans la rivière. Ce n’était pas trop profond, mais sur le moment la perte de tout contrôle me fit paniquer. Je me défendais pour ma vie, à coup de pieds et d’ongles pour sortir de sa prise. Je n’ai pas peur des poulpes. Je les dévore en takoyaki !  Je me débats comme je peux, pour sortir ma tête de l’eau, respirer. Mes oreilles passaient dans l’eau donc je n’entendais pas bien ce qui se passait autour de moi. Des bruits étranges, des voix. Mais ça n’avait pas de sens. Parfois je ressentais une légère douleur dans mon dos, sur mes jambes, mes bras. Probablement les blessures de Tenshi qui se répercutait sur moi. Rien de bien grave, à moins que ce ne soit l’adrénaline qui parle.

Au bout d’un moment, la tentacule me laissa partir. J’émergeais pour de bon. Je pouvais à peine distinguer quoi que ce soit avec mes lunettes mouillées. Mes vêtements pesaient une tonne - ça m’apprendra à porter autant de couches de tissus… C’est alors que j’ai remarqué qu’il y avait quelqu’un d’autre. Deux femmes, l’une portant un casque de moto et ce qui ressemblait étrangement à une combinaison en cuir, l’autre arborant une chevelure écarlate et des vêtements noirs. Je pouvais presque entendre mon pouls à cause de l’effort de la peur. Mais j’étais en vie, c’était le plus important. Et je la devais probablement à ces deux inconnues. Mais s’agissait-il vraiment d’inconnue, la voix de la rouquine me disait quelque chose...et Gwazz ? Ca c’était un nom étrange, un mélange de jazz et ….oh ….hum.

Tenshi m’aida à sortir du lit de la rivière. J’essorais mes manches, découvrant quelques griffures. Au moins j’étais en vie, même si je m’étais déjà senti mieux? Je crois que je commençais seulement à réaliser à quel point j’avais été chanceux. Même si mon secours n’était pas si héroïque que ça - et surtout que j’avais manqué les trois quarts, je me tournais vers mes sauveuses.

… Merci pour votre aide. Je ne crois que je m’en serais sorti sans vous.

Merci. Vous n’êtes pas blessées ?

répondit simplement mon persona en s’inclinant.

Je ne savais pas vraiment ce que je pouvais ajouter. Après tout je ne comptais pas rester dans le coin. A vrai dire, il valait mieux que je retourne chez moi et que je panse mes blessures. Mais Tenshi s’approcha des deux jeunes femmes. Ca se voyait qu’il était curieux. C’était étrange, je ne l’avais jamais vu réagir comme ça. Et c’était un peu embarrassant. Il détaillait la motarde vraiment de haut en bas.

euh… Ten, qu’est ce que tu fais ?

C’était terriblement gênant. Les personas n’étaient qu’un reflet de nous même… mais qu’est ce que ce comportement voulait dire ? Cela ne me ressemblait pas….Tenshi se retourna vers moi et recula.

J’ai l’impression de l’avoir déjà vue avant...

Ah. Donc il avait simplement la même impression que moi, c’était juste qu’il se sentait libre de pouvoir vérifier. C’était parfois le problème avec Tenshi, il me forçait à affronter ce que je pensais honnêtement. Je ne pouvais pas vraiment garder de secret en Noerphilie… Je regardais avec attention la jeune femme aux cheveux rouges et aux yeux violets. Sa voix avait quelque chose de familier, son visage aussi mais son apparence....elle était forcément modifiée.

Est-ce que... nous nous sommes déjà rencontrés ?