Cet midi là, le temps était doux et l'automne arrivait. Le soleil brillait encore et les feuilles des érables viraient calmement du vert au ocre, parfois au jaune et la danse des pétales de cerisier du printemps était remplacé par le ballet des lourds feuillages.
Ritsu était assit paisiblement dans un rayon de soleil, adossé au gymnase, ses fesses posées dans l'herbe un peu mouillée, mais il s'en fichait. Non, sa lecture lui faisait oublier tout ce qui se passait autour de lui. Lui qui était pourtant frileux, n'avait pas froid.

Son esprit était ailleurs, absorber par les cases en noir et blanc qui défilait dans sa rétine, trop occupé à tourner les pages de papiers de mauvaise qualité du manga qu'il tenait entre les mains. C'était le nouveau Choops, le magazine de référence des mangas spécialisés dans les Magicals Girls, et il venait juste de publier le tout nouveau chapitre de Magic Kodomo. Le suspense était à son comble, car Ritsuka, l'héroïne venait d'apprendre que la diabolique reine des Ombres étaient en vérité sa sœur jumelle.

Les mains de Ritsu tremblait presque de fébrilité à chaque fois qu'il tournait les pages et qu'il voyait les émotions se refléter sur le visage poupon de la jeune fille.

Tout autour de lui pouvait bien s'écrouler, il n'y aurait prêter aucune attention. Ses écouteurs vissés dans ses oreilles, sa solitude lui faisait un bien fou. Il ne mangeait quasiment jamais avec les autres, et préférait sortir en dernier de la classe pour échapper à la foule. Quelques fois il faisait l'effort de rejoindre un petit groupe de fan d'animes, et ils rigolaient bien ensemble, mais Ritsu avait vraiment du mal à se lier avec les gens qu'il avait en face de lui. Il se méfiait constamment et préférait manger son bento dans un coin tranquille qu'il avait découvert. L'arrière du gymnase était un endroit peu fréquenté, et il venait souvent là quand il voulait se retrouver seul avec Ritsuka, seul avec ce qu'il aimait vraiment sans qu'on se moque de lui.

Remontant ses épaisses lunettes sur son nez, il finit de lire le chapitre et poussa un soupir de bonheur, pressant le volumineux magazine contre son cœur.

*Ritsuka, tu es si forte ! Qu'est ce que j'aimerais avoir ton courage, pouvoir affronter les situations compliquées comme tu le fais...*

Le vent souffla doucement et Ritsu sortit son bento de son sac, et le posa sur ses genoux, avalant des boulettes de riz à la prune séchée et au thon, tout en continuant de lire les autres histoires. Il n'avait plus vraiment besoin d'être autant concentré, car même si il adorait les autres mangas, rien n'équivalait à Magic Kodomo.

Poussant un soupir de contentement, il mordit dans sa boulette et eu un léger sourire.

Ce midi là, Shinji s'accordait un moment pour souffler.
La semaine qui se terminait, avait été un peu ... mouvementée. Un peu trop à son goût surtout.
Evènement plutôt inhabituel, on l'avait largué. Et s'il avait quelques reproches à formuler à l'égard de la demoiselle, il devait bien reconnaître qu'il avait quelques tords qui avaient fini par peser dans la balance.
Il avait testé une nouvelle fois, une nouvelle relation avec une fille de la section biologie, un an de moins que lui, mignonne, tout ce qu'il fallait où il fallait, un peu de jugeote. Ils avaient passés du bon temps ensemble, mais les mauvaises habitudes avaient la peau dure ... et l'herbe était toujours plus verte dans le pré d'à côté.

Outre ses tords, qu'il était capable d'accepter, il n'était pas forcément mécontent que cette relation se soit terminée. Parce que la donzelle avait commencé à prendre ses aises. Non pas en laissant traîner ses petites culottes en dentelle chez lui, ça ne l'aurait pas forcément dérangé, mais elle avait commencé à le critiquer. Pas physiquement, il n'y avait rien à critiquer de toute manière, mais sur sa façon de faire ... avec l'Otaku.
Son putain de kohai, qu'ils avaient croisé une après-midi alors qu'il était venu la rejoindre à la bibliothèque à la fin d'un de ses cours. Comme à son habitude, il avait un peu bousculé Riki, pour l'obliger à réagir, à sortir de son monde virtuel peuplé de gamines en jupes courtes et dotées de pouvoirs magiques, pour revenir à la réalité.
La malheureuse l'avait critiqué un peu plus tard en estimant qu'il ne se comportait pas de la bonne façon avec son cadet. Shinji n'avait pas vraiment répondu, il avait changé de sujet. Mais il n'avait pas vraiment apprécié la remarque.

Cette relation avait donc pris fin le matin même et même si Shinji était en partie contrarié de ne pas avoir été l'auteur de cette initiative, il ne pouvait pas dire qu'il était malheureux suite à cette décision.
Pourtant, au lieu de se mêler à sa bande d'ami pour déjeuner, ce midi là, il s'était éclipsé. Il n'avait pas envie de blaguer sur son nouveau changement de "statut". Il avait besoin de souffler un peu, de se retrouver. Il aurait aimé pouvoir se rendre au dojo, évacué un peu la pression, mais les cours de l'après-midi étaient importants et il lui faudrait attendre la fin de journée pour pouvoir se dépenser.

Il avait donc fini par opter pour un moment de solitude, il avait acheté l'un de ces petits bentos rapidement confectionnés à la cafétéria puis il avait pris la direction du gymnase. En contournant la structure, il avait pensé trouver le calme et la solitude qu'il recherchait. Mais il était sur quelques. Et pas n'importe qui.
Riki.
A la vue du garçon occupé à manger son bento, un épais magasine sur lequel posaient des héroïnes de petites filles posé à côté de lui, Shinji sentit sa contrariété remonter à la surface. Il prit néanmoins sur lui pour la contenir, s'approchant du garçon son sac tenant par une lanière sur son épaule, avec un petit sourire moqueur au coin des lèvres.

« Tiens tiens. Comme on se retrouve » Il s'approcha d'un pas souple et assuré s'arrêtant devant lui, se penchant pour venir prendre l'une des boulettes de riz de son bento entre ses doigts « Encore en train de rêvasser Riki ? » Il le regarda droit dans les siens, plongeant ses pupilles rouges dans les épais carreaux, puis il jeta un coup d'œil au magazine avant de se soupirer « Ce n'est pas la première fois que je te dis qu'il faut que tu arrêtes de lire ces histoires pour petites filles si tu veux gagner un minimum en crédibilité »

Il se redressa ajustant négligemment la lanière de son sac qui avait commencé à glisser avant de glisser la boulette de riz entre ses lèvres.
Il ne lâchait pas son kohai du regard attendant de voir apparaître l'agacement derrière ses doubles vitrages.

Si le beau temps était au rendez-vous, le calme et la tranquillité furent vite rompu par l'arrivé impromptue et nonchalante de Shinji Oda. Le campus n'était pas pas assez grand pour qu'il vienne l'importuner dans le seul endroit où il voulait être seul.
Un soupir passa les lèvres de Ritsu alors que qu'il refermait son magazine pour le poser à ses côté et fixer l'arrivée du jeune homme en face de lui.

*Et revoilà le coureur de jupon, qu'est-ce qu'il va encore m'inventer pour se trouver une excuse et me frapper ? De toute façon, j'ai pas une thune, alors qu'il ne compte pas sûr moi.*

Le fixant quelques instants, Ritsu finit par détourner le regard et marmonna : « Bonjour Oda-senpai...»

Ritsu était incapable d'expliquer pourquoi son senpai avait décidé de le prendre en grippe de cette façon. Alors certes, Ritsu n'était pas le mec le plus jovial de la terre, mais de là à le persécuter comme ça.
Bon on était encore loin de ce qu'il vivait à l'époque du lycée et pour le coup il n'y avait vraiment que Shinji qui le taquinait de façon aussi assidu, mais quand même.
L'otaku se passa la main sur ses avants-bras, ses cicatrices le brûlant à chaque fois que Shinji était dans les parages. C'était en partit sa faute si il avait recommencer à faire ce genre de chose. Pour expier la douleur et l'amertume qui avait envahit son corps quand le blondinet avait cru drôle de lui mettre un pain dans la joue.

Inspirant doucement, essayant de se calmer, Ritsu releva les yeux et il fut presque blasé.

*Non mais regarde le avec son air supérieur là ! Il se prend pour qui ? Parce que monsieur à dû succès auprés des filles il doit plus sentir ses chevilles !*

Ses pensées étaient sombres alors qu'en vérité il n'en menait pas large. Il le vit se pencher et attraper une boulette de riz de son bento. * Bah vas-y te gêne pas mon gars ! Fais comme chez toi ! Dire que j'ai passé une heure hier pour les faire...*

Se mordant la lèvre, l'otaku renifla et finit par lâcher : « Laisse moi Oda, tu n'as pas des filles à aller draguer...»

Pourquoi est-ce qu'il venait l'emmerder constamment ? Puis si ilpouvait arrêter avec ce surnom stupide...

S’il avait initialement recherché du calme et de la tranquillité pour digérer sa rupture, pas vraiment douloureuse, de la matinée, il ne fut pas mécontent de tomber sur son kohai préféré. Et son sourire moqueur ne put que s’agrandir face à la contrariété qu’il vit passer sur le visage du jeune homme en l’apercevant.

A chaque fois qu’il le voyait, ses doigts le démangeaient. Il lui rappelait la petite voiture cabossée de sa ville natale et cela ravivait en lui une rancune tenace.
Et puis, c’était de son devoir de montrer la voie à son kohai. Il était bien normal qu’il le pousse un peu à sortir de ses retranchements, et plus précisément de ses mangas de filles, pour enfin prendre pied avec la réalité.
Alors tomber sur Ritsu, alors qu’il avait besoin de se changer les idées, était une bonne chose. Avec un peu de chance, ça lui donnait une occasion avant ce soir pour se défouler.

Sachant qu’il ne dirait rien, il se pencha pour lui prendre une boulette de son repas appréciant le goût de cette dernière, même s’il ne prit pas la peine de féliciter son kohai pour ça. Il la mâchait, profitant des saveurs, lorsque son cadet se mit enfin à parler lui faisant comprendre qu’il n’était pas le bienvenu.
Mais il mettait si peu de conviction, que Shinji se contenta de hausser négligemment des épaules avant d’attraper la lanière de son sac pour le poser par terre, signifiant ainsi qu’il comptait bien rester.

« Allons Riki, quelle idée as-tu de moi ? Je ne passe pas tout mon temps à ça »

Comme s’ils avaient été deux bons copains, il s’assit en tailleur face à lui bien décidé à rester. Ritsu allait lui offrir la distraction idéale pour changer ses idées un peu morose.
Il posa son sac à côté de lui, sortit le bento qu’il venait d’acheter mais au lieu de l’ouvrir, il alla prendre une seconde boulette à son kohai. Il ne s’y attaqua pas tout de suite prenant le temps avant de complimenter le jeune homme. A sa façon.

« Tes boulettes sont bien meilleures de celles de la cafet. Tu es bonne à marier Riki »

Son sourire moqueur s’agrandit légèrement avant qu’il ne porte la boulette à ses lèvres. Il continua à le fixer savourant presque les réactions de son kohai.
Il ne détourna les yeux qu’une fois que la boulette de riz eut disparu et qu’elle fut avalée. Il tendit alors une nouvelle fois la main, mais pas en direction du bento cette fois. Il posa ses doigts légèrement sales avec le riz sur la couverture du magazine le faisant pivoter sur lui-même pour qu’il se trouve dans son sens de lecture. Son regard passa rapidement sur la couverture et une expression blasée passa sur son visage.

« Tu n’as pas plus viril comme lecture ? »

Pourquoi ? Pourquoi est-ce qu’il s’entêtait à venir lui pourrir sa journée ? La vie en  général même. Ritsu ne demandait rien d’autre que d’être tranquille dans son coin et il fallait que cet enfoiré de Shinji Oda vienne rappliquer pour ternir cette pause déjeuné qui avait été proche de la perfection.
Contrarié, son humeur passa sur son visage et il se crispa un peu, envoyant une réplique dans les dents de son senpai.

N’avait-il rien de mieux à faire ? Sérieusement…

Il le vit piocher dans sa nourriture et Ritsu ne dit rien, se contentant de le fusiller du regard et de voir sa nourriture s’envoler. Il n’avait pas forcément les moyens de payer la cafet, alors il récupérait les restes de la superette ou il travaillait et les re-cuisinaient chez lui, les accommandant avec ce qu’il pouvait s’offrir. Il n’était de toute façon pas un gros gourmand.

*Fais comme chez toi, je t’en prie…* Rumina-t-il alors qu’il le voyait s’asseoir en face de lui.

Alors non Shinji ne passait pas son temps à draguer, mais quand même une bonne partie. Ritsu aurait pu le traiter de sale dragueur et l’albinos aurait pu n’avoir que ça pour lui. Mais manque de chance, Shinji était doué dans les études et en sport. Il cumulait dans des domaines ou Ritsu brillait par son échec. Bon mis à part les études ou il s’en sortait sans trop de difficulté, dès qu’il devait faire du sport il mourrait le long de la route et les filles il n’osait pas tellement leur adresser la parole.
La seule fille qui avait su franchir les barrières qu’il s’imposait était partit pour Tokyo et Ritsu s’était retrouver de nouveau seul. Lui aussi aurait voulu avoir l’aisance de Shinji et voir  son senpai aussi sûr de lui et si brillant l’énervait prodigieusement. Surtout qu’il lui faisait bien sentir que l’otaku était loin du compte.

Le voyant mordre dans une deuxième boulette, Ritsu baissa les yeux avant de rougir furieusement quand il lui avoua qu’il était bon à marier.
Oui sûrement, sans son manque de socialisation et sa passion dévorante pour les animes, il aurait sans doute fait un bon époux. Mais le manque de confiance en soi qu’il avait l’empêchait de construire des relations durables. Alors sil se ne fit que relever les yeux, fixant les deux dernières boulettes dans son bento, sentant son ventre gronder sous la faim. Il n’avait plus que ça pour tenir tout l’après-midi.

« Oda-senpai… » Soupira-t-il en prenant l’avant dernière boulette pour ne pas se la faire voler. Il la porta à sa bouche et savoura les poireaux qu’il avait fourrés dedans. C’est vrai qu’elles étaient bonnes en plus…

Puis ses yeux s’écarquillèrent quand il vit la main sale de Shinji s’avancer et toucher son magazine avec les doigts poisseux et collant de riz. Ses sourcils se froncèrent et Ritsu lui arracha le magazine des mains, l’essuyant avec la manche de sa veste.

« Laisse-moi tranquille Oda…Je..je lis ce que je veux ! »

Une trace de gras subsistait sur le visage imprimé de Ritsuka et le cœur de l’étudiant se serra.

*Je vais le tuer ! Je vais le tuer cet enfoiré de beau gosse qui se la pète ! * Pensa-t-il alors que la colère grondait en lui.

Les mains tremblantes, il rangea avec précaution le magazine dans son sac et jeta des regards alentours pour voir si quelqu’un l’avait vu.

Enfonçant ses lunettes sur son nez, il baissa la tête et grommela : «  La virilité est une question de point de vue. Ce n’est pas parce que je ne suis pas sportif, ou que je lis des histoires de filles que je ne suis pas un homme…. » Puis redressant la tête, il fixa Shinji dans les yeux et chuchota : « ….puis je suis plus grand que toi de toute façon. »

Oui là, il cherchait clairement les emmerdes. Mais Ritsu n’aimait pas qu’on touche à ses affaires, encore moins à sa Ritsuka.

Bien entendu, il se doutait que sa présence ennuyait son kohai.
Bien entendu, il se doutait qu’en restant pour déjeuner en face de lui, il lui gâchait en quelque sorte son déjeuner.
Bien entendu, il se doutait qu’il allait le faire gêner en lui disant qu’il était bon à marier, alors qu’il ne l’avait jamais vu en compagnie d’une fille.
Bien entendu, il se doutait qu’il allait lui hérisser le poil en osant poser les doigts sur l’un de ses précieux magasines.

Mais il s’en fichait.
Bien au contraire, son humeur s’améliorait alors qu’il dégradait l’humeur de son kohai, comme s’il se nourrissait des émotions négatives qu’il faisait naître en lui. Mais c’était plus fort que lui, parce qu’à chaque fois la petite voiture cabossée lui revenait en mémoire et il avait une folie furieuse de changer l’être insignifiant qui se trouvait en face de lui.

Alors son sourire demeura sur ses lèvres lorsqu’il le vit s’enflammer parce qu’il avait osé poser ses doigts sur son magazine. Il le regarda frotter la couverture pour effacer les traces de gras et il l’écouta grogner, cela lui fit lever les yeux au ciel.

« Le problème est bien là, très cher kohai. Je n’ai pas envie de te laisser tranquille »

Jetant un coup d’œil à la dernière boulette dans le bento du jeune homme, il finit néanmoins par ouvrir la boîte qu’il avait achetée à la cafétéria même s’il savait qu’il risquait de faire la grimace. Il ne le regarda pas alors qu’il rangeait son magazine et il releva les yeux en l’entendant grommeler, le regardant avec un air peu convaincu alors qu’il lui parlait de virilité.
Des excuses de mauviette une fois de plus.
Par compte il ne s’était pas attendu à la suite, à ce petit chuchotement que son kohai lâcha pour commenter la différence de taille en osant plonger son regard dans le sien.
Le sourire de Shinji s’estompa légèrement et ses sourcils se froncèrent. Il n’était particulièrement susceptible lorsque l’on évoquait sa taille, il n’était ni petit ni grand, mais il n’apprécia pas cette tentative de rébellion de la part de son kohai.

« Tu es peut-être plus grand que moi, mais tu ne fais pas le poids. Grand nain »

Assez vif, il s’était penché dans sa direction réduisant la distance qui les séparait et le plat de sa main alla percuter l’épaule de son kohai pour le repousser en arrière.
Les doigts de sa main de libre le démangèrent et il eut envie de les serrer en un poing serré pour lui envoyer dans le nez. Il en amorça le geste, refermant sa main sur son épaule pour lui éviter de se dérober, il lança son nez dans sa direction.
Mais il se fit violence pour arrêter son geste à quelques centimètres des épaisses lunettes. A la place du coup de poing, il lui décrocha une pichenette entre les deux yeux avant de se redresser en le repoussant en arrière.

« Pas étonnant que les filles ne s’intéressent pas à toi »

Et sans plus de cérémonies, il attrapa la dernière boulette malgré la boîte achetée à la cafétéria ouverte devant lui.

Mais qu’est-ce qu’il en avait à faire des filles ? Qu’est-ce qu’il en avait à faire de l’avis de Shinji ? Franchement Ritsu aurait pu se ficher de tout ça. Mais le regard des autres lui avait paru important pendant des années. Il avait été jugé, harcelé, frappé, mis de côté et pendant que les autres s’amusaient, lui restait là, à le regarder, fixant le sol, le cœur lourd, se demandant ce qui clochait chez lui.
Cela avait été dur, dur de n’avoir jamais pu s’attacher à quelqu’un, de devoir aller à l’école sans personne à qui vraiment parler, de voir son bureau gribouillé, de voir son bento renversé, de devoir manger caché dans les toilettes, de devoir parfois lécher les chaussures de ceux qui lui imposait, de faire les devoirs d’autres, de porter leurs sacs de classe…tellement de chose qui l’avait poussé à fuir.

Et voilà que tout recommençait. Il se faisait voler sa nourriture par ce don juan, ce bellâtre exotique qui attirait les filles comme des mouches sur un pot de miel.
Tout aurait été plus facile si son physique avait été plus agréable, si il avait eu plus confiance en lui, mais voilà, Ritsu portait des culs de bouteille, il n’était pas le mec le plus mignon de la terre et il se réfugiait dans un monde fait d’héroïne en jupe courte.

Alors face à Shinji, il n’en mena pas large. Il sentait la colère lui gonfler le cœur, mais il était véritablement incapable de répliquer. Il priait pour qu’une justice divine s’abatte sur lui mais aucun éclair n’avait jamais frappé quiconque. La vie était tout simplement parfaitement injuste.

Il rétorqua qu’il n’était pas peut être viril, mais il était plus grand que Shinji et le sourire qu’il vit décrue le fit déglutir douloureusement. Oula, mauvaise idée !

Il n’avait pas pu s’en empêcher, de lui glisser cette pique alors qu’il essuyait ses doigts gras sur Ritsuka, l’humiliant une fois de plus.

Et la réaction ne se fit pas attendre, il fut légèrement bousculer en arrière avant de voir le poing de Shinji se lever prêts à s’abattre sur son visage. Ritsu se crispa et leva automatiquement un bras pour protéger sa tête cherchant à s’échapper de la poigne, mais son sempai le tenait fermement. Il attendit la douleur dans ses lunettes, sur son visage, le goût du sang dans sa bouche, le craquement sévère de son nez. Mais rien ne vint.
Il entrouvrit les yeux et vit Shinji qui avait arrêté son poing à quelques centimètres de son front. Il lui donna une pichenette et Ritsu glapit, sentant la légère douleur se répandre dans sa chair.

La dernière phrase l’acheva et il retint le violent sanglot qui lui serrait la gorge.

* Pourquoi ? Pourquoi est-ce qu’il se sent obligé de m’humilier comme ça…je le hais ! Je le hais ! Si..si je pouvais..je lui écraserais mon poing dans sa petite face de perroquet pédant *

Mais Ritsu en était incapable. Il sentit la douleur se répandre dans ses tempes et sans qu’il ne puisse rien y faire, il vit Shinji prendre sa dernière boulette de riz et cela l’acheva.
Ses lèvres tremblèrent furieusement et il détourna le regard, se cachant derrière ses épais cheveux noirs et ses épais carreaux.

Il remballa ses affaires et son bento vide, avant de se lever précipitamment, son sac sur l’épaule. Il resta debout devant Shinji, cherchant quelque chose à lui dire pour le clouer sur place alors que derrière ses lunettes des larmes montaient dans ses yeux.

Mais l’otaku ne trouva rien de pertinent à dire et il se contenta de mordre sa lèvre, de s’incliner pour le saluer et de tourner les talons pour s’enfuir et rejoindre le campus de la faculté la faim lui creusant le ventre.

La colère et la tristesse lui broyait le cœur, à tel point qu’il ne vit pas qu’il avait oublié les clés de chez lui sur le gazon devant Shinji.



[ Clos pour moi ]

Agacé par la remarque de son kohai, Shinji se vengea. Mais de manière soft.
Il aurait pu brutalement le remettre à sa place en écrasant son poing sur sa face d'intello, lui enfoncer ses lunettes dans le front quitte à les briser sous son coup. Mais il s'était retenu.
Il s'était contenté de lui faire un peu peur déclenchant le geste automatique, mais inutile, de défense du jeune homme qui leva le bras pour rien. Il avait plutôt choisi de le punir de cette façon, mais également en terminant son bento et en lâchant quelques paroles nonchalantes mais qui pouvaient se révéler blessantes.
Il devait comprendre où se trouvait sa place, histoire qu'il ne retente pas une telle « rébellion » devant un public.

Il pensait que le jeune homme allait peut-être encore tenté de se rebeller, de contredire ses paroles pourtant véridiques. Mais il n'en fit rien, il avait visiblement compris la leçon.
Mâchant tranquillement la dernière boulette, Shinji l'observa se relever et rassembler ses affaires en fuyant son regard. Ses gestes et ses paroles avaient visiblement fait mouche, mais le jeune homme ne s'était pas forcément attendu à croiser un regard dans lequel s'accumulait des larmes avant son kohai ne le salue et parte sans demander son reste.
Shinji termina de mâcher et avala avant de pester en le voyant disparaître à l'angle du gymnase.

« Quelle mauviette »

Et pourtant malgré ces quelques mots acides, un goût amer lui resta en bouche. Ce n'était pas forcément son objectif de faire pleurer le faible Riki, mais ce dernier ne lui rappelait que trop bien une ancienne connaissance dont le souvenir avait fini par être douloureux.
C'était pour son bien qu'il bousculait son kohai de cette façon, pour qu'il change, qu'il cède un peu de s'enfermer dans son monde de petites filles de jupette courte, qu'il apprenne à se défendre et qu'il affronte enfin le monde extérieur.
Mais le temps avait beau passer, Riki ne semblait pas changer et Shinji continuait à le bousculer sans grandes améliorations notables.

Distraitement, il prit une boulette du bento qu'il avait acheté un peu plus tôt mais il esquissa une grimace dès la première bouchée. Il prit sur lui pour ne pas recracher et il se releva attrapant la boite en plastique pour la jeter, encore pleine, dans la poubelle la plus proche.
Ce fut alors que son regard accrocha un petit éclat métallique et il se pencha ramassant un trousseau de clé dont le porte-clé ne laissait aucun doute quant à son propriétaire. Encore une fillette en jupette courte. Shinji grimaça encore, son kohai avait du les oublier dans sa précision en partant.
Le grand imbécile.

S'il hésita un instant à les mettre à la poubelle ou à les laisser sur place, Shinji se remémora sans vraiment le vouloir les yeux derrière les épais carreaux qui s'étaient emplis de larmes et il poussa un profond soupir.
Il enfonça les clés dans sa poche, puis se pencha pour ramasser son sac.

Sa bonté le perdrait.

[Clos également ]