Elle s'était toujours sentie...étrangère. Un étranger dans un corps qui ne lui appartient pas. Et elle l'avait toujours très mal vécu.
Elle haïssait son prénom. Dans son pays natal, peu de gens comprenait son cas. C'était juste une gamine qui refusait d'être ce qu'elle était, qui faisait sa crise d'adolescence comme on disait. Sauf que voila, ça faisait longtemps qu'elle se la traînait, cette fameuse crise.
Ils ne comprenaient pas pourquoi l'enfant déchirait ses robes en rentrant de l'école, perdait malencontreusement ses jolies petits pulls colorés pastel et ses souliers vernis sur le chemin.
 Non, personne ne comprenait pourquoi Haema voulait être comme Heimdall.

  Son frère aîné de deux ans avait aussi du mal à comprendre, mais ils restaient frère et sœur. Alors il laissait tout passer. Mr Mendel riait beaucoup lorsque sa fille empruntait les vêtements de son aîné. Mme Mendel appréciait beaucoup moins les penchants de l'enfant. Pour des gens de bonne famille comme eux, il était inconcevable d'avoir une petite débauchée à la maison. Cette pauvre femme avait tout essayé: punitions, internat, voyage à l'étranger...Haema devenait un peu plus excentrique chaque jour. Et de plus en plus effrontée. Ce fut lorsqu'elle coupa ses longs cheveux roux que ses parents abandonnèrent.
 Il était vrai que mis à part ses choix vestimentaires bizarres, elle avait tout de l'enfant parfait. En fait, elle excellait dans tous les domaines, tandis que son frère tentait de la rattraper tant bien que mal. Elle s'ennuyait lorsque lui trimait. Mais la jeune fille vénérait toujours son frère, lui vouait une sorte d'adoration fraternelle qui l'empêchait de le voir son son véritable jour.


Ils furent diplômés la même année. Seize et Dix-huit années.

Haema se tourna vers l'enseignement, elle avait toujours aimé les enfants. Son père avait d'autres projets pour elle.
Personne ne compris ce qu'il s'était passé ce jour là. Seulement qu'Heimdall était entré dans une colère noire lorsqu'il eut appris sa destitution. Son père et lui étaient passé par la fenêtre du bureau, au deuxième étage. Haema refusa d'en parler, et se fondit dans un mutisme incompréhensible durant deux longues années où les Mendel perdirent richesse, prestance et entreprises.
Sa mère ne le supporta pas, et se remaria rapidement, laissant une jeune adulte renfermé se battre contre le monde réel.
Cela ne l'affecta pas plus que ça. Elle ne pleura pas. Elle ne regretta rien. Elle fit juste ses bagages, laissa la maison de son enfance derrière elle et déambula dans les rues d'Oslo à la recherche d'un but, d'une chose qui pourrait combler l'absence.

Elle marcha si longtemps qu'elle en oublia la durée. Jusqu'à ce qu'ils la trouvent. Un gang. On demanda au "jeune homme" son nom. « Heimdall. »
Ils sourirent.
Il sourit à son tour.

Heimdall était rusé. Intelligent. Incroyablement musclé malgré sa fine corpulence. Il gravit les échelons, comme à son habitude. Son groupe brisa les records. Ils n'étaient pas mauvais dans le sens moral du terme, ils faisaient juste les sales besognes. Des mercenaires en somme. Mais ça ne convenait pas au roux. Il ne pouvait s'empêcher de mettre son grain de sel partout, de questionner les ordres. Ses employeurs n'aimaient pas les questions.
 Les filles lui couraient après, ça l’écœurait. Des mouches qui tournoyaient autour de sa prestance, voilà tout ce qu'elles étaient. Leurs langues de vipères lui murmuraient des mensonges amoureux chaque jour, et chaque jour son visage s'assombrissait, ses traits se durcissaient. Elles lui rappelèrent soudain sa mère. L'enfant qui avait grandit d'un coup disparut.

 Il partit sans donner d'explications.
Heimdall devint une sorte de...justicier ? Ce n'était pas spécialement le cas. Soit, il aidait les gens, mais tapait surtout sur ceux qu'il n'aimait pas.  C'était la seule chose qui le faisait encore sourire. Il s'ennuyait et jouait au chat et à la souris, comme les gosses dans la cour de récré. Ses petits jeux lui valurent pas mal de problèmes. Il fut vite connu des services de police norvégiens.

« Eh, gamine. Ça te dirait de faire les choses en bonne et due forme pour une fois ? »

Il n'avait pas dit non. Qu'avait-il à perdre.
Heimdall fut brillant. On lui permis de changer d'identité, officiellement cette fois si. Et dès lors, il sentit qu'on était fier de lui. Qu'on approuvait ce qu'il faisait. Et il l'approuvait également.
Pendant sept longues années, on lui appris les bases, les lois, l’adrénaline du terrain...
Encouragé par son mentor, son second père, il grimpa à nouveau l'échelle de la hiérarchie. Mais ici, personne ne vous posait une couronne sur la tête. On appréciait juste votre dévouement. Ça lui allait. Alors il resta.
On lui laissa faire ce qu'il voulait, du moment qu'il ne faisait pas de vagues.

Puis un jour où il sirotait son café devant les informations, il vit Iteku. Il entendit Noerphilie, les voyageurs des deux mondes. Cette Miss Harmonie qui leur présentait le monde parfait sur un plateau en or massif.
On le contacta lorsque les choses commencèrent à dégénérer, lorsque les humains devinrent fous et envieux. Il l'avait déjà vu, cette folie.


«-INTERPOL t’envoie au Japon. Tu fais partie des Infiltrés maintenant, alors plus de conneries Mendel.
 -Comme d'habitude chef.
 -Fait pas le con gamin..
 -...La mission ?
 -Contrôler Noerphilie. On a plus aucun impact passé l'écran, alors on laisse nos agents gérer ça. Débusque moi ces enflures qui ont ouvert ces foutus portails et trouve pourquoi. Tu dois réussir par tous les moyens, c'est pas en option.»

Les humains venaient imposer leurs lois dans un autre monde, c'était bien leur genre. On risquait d'y passer. C'était risqué.
Ça allait enfin devenir amusant...