A Iteku : Ils m'appellent Tasty. Rien à faire, c'est la tradition ici. Dès que l'on est admis, on perd l'usage de son identité et les autres t'en donnent une nouvelle. Pas le choix. Et puis, ça a toujours été comme ça dans les prisons, juvéniles ou pas. Pourquoi ça changerait ? Je me souviens encore de ma première semaine d'incarcération. Evidemment, j'attisais la curiosité de tous. Qui n'avait pas entendu parler du petit nouveau ? Et les grands patrons de la prison décidèrent bien vite qu'il fallait m'accueillir comme il se doit. C'est ainsi que le grand concours du surnom le plus inventif commença.

Les moins ingénieux vont tout de suite au plus facile et cherchent à faire référence au physique. Ils ont essayé Musclor, en hommage à mon corps sec et à mes biceps inexistants. D'autres ont proposé Acné. Je vous laisse deviner pourquoi. Pendant un temps, Papy fut plutôt populaire. Lorsqu'un ado de 15 ans commence à avoir des cheveux blancs à cause du stress du milieu carcéral, ça fait jaser. J'ai échappé de peu à Princesse. Comme quoi les yeux bleus et les dents blanches ont aussi leurs mauvais côtés. Si je me souviens bien, il y a eu Dumbo aussi. Malheureusement, mes grandes oreilles ne m'aideront pas à me faire la malle.

Puis, lorsque tes compagnons de cellule commencent à te connaître, les idées de surnoms sont plus personnelles. Ils m'ont tous demandé comment j'étais arrivé ici, quel crime j'avais commis, quelle grand-mère j'avais écrasé... Et j'ai toujours refusé d'en parler. Je préférais clamer mon innocence et hurler à l'injustice. Alors pour se moquer, ils m'ont nommé Martyr. Mais ça n'a pas tenu. Criquet est resté en lice pendant un certain temps. Je ne suis pas très doué avec l'humour et ça s'est su très vite. Une blague mal racontée et c'était parti.

Puis les gens se sont lassés. Il n'est jamais très amusant de trouver un surnom à quelqu'un qui n'a vraiment rien de particulier. Puis je ne parle pas beaucoup, alors ils n'ont jamais eu beaucoup de matière avec laquelle travailler.

Un samedi, à la cafétéria, ça leur est venu. On nous servait un plat de pâtes manifestement cuites dans une eau sans sel. Le tout sans sauce, sans fromage, sans goût. Puis j'ai dit : "Je ne pensais pas qu'il existait un truc avec aussi peu de saveur.". Une autre réponse fusa : "Si mec ! Y'a toi ! T'es le mec le plus fade du monde. Ah, on devrait t'appeler Tasty !". Et le succès fut immédiat.

En Noerphilie : Sentence. Mon moi. Mon vrai moi. La manifestation d'une culpabilité que j'ai toujours refusé d'admettre. En prison, je n'avais pas à confronter le poids de mes actes. Je pouvais seulement attendre que l'on me redonne la liberté sans jamais avoir à dire : "Je suis coupable. Le jugement était juste. Je mérite cette punition". Mais en Noerphilie, il n'y a pas d'échappatoire.

Sentence est un être de métal, de maillons lourds. En son sein je trône, attendant le jugement dernier. Des chaînes plantées dans mon corps m'entourent et me maintiennent, me retirant toute humanité. Seul mon esprit me permet de communiquer, de voir et de me déplacer, grâce à ces chaînes que je contrôle. Cette apparence me condamne à être prisonnier pour toujours. A moins que...