Des lunettes d'informaticien, les cheveux plaqués sur le côté, la valise pendue à ses doigts, sans parler de la jolie cravate bien repassée... Qui aurait cru que c'était l'avenir qu'annonçait la naissance de Kanji. Né d'une famille bourgeoise, tout le monde se disait qu'il ferait un excellent avocat, ou un brillant politicien... Ses parents avaient réussi : ils avaient abandonné famille et amis pour percer dans leur carrière, et se trouvaient désormais dans une position si bien placée qu'une villa près de l'océan n'était plus une opportunité mais une commodité. Ils avaient déjà tout planifié pour le nouveau né : il irait avec sa soeur dans de grandes écoles, faire de bonnes études et continuer d'écraser la pauvreté grâce au pouvoir de l'argent. Hélas, Kanji brisa ce rêve rapidement à la force de ses petits poings.

Dès l'âge de six ans, le petit blondinet était devenu un élément perturbateur. Combien de fois M. et Mme. Mutô sont venus le chercher dans le bureau de la directrice. Langage vulgaire, agression sur ses petits camarades, menaces envers la directrice... On peut dire que dans la cour de recrée, Kanji était déjà devenu le roi de la baston. Évidemment, ses parents étaient exaspérés. Mais leurs punitions ne venaient jamais à bout de son entêtement. On avait songé à lui prendre un tuteur personnel, mais rares étaient ceux qui arrivaient à lui faire faire un seul exercice avant de fuir la queue entre les jambes. Pour le petit bonhomme, il n'était pas à sa place au milieu de tout ce luxe. Il ressentait déjà une attirance pour les petites choses mignonnes et simples. Les années passèrent dans un perpétuel conflit, dans lequel notre protagoniste clamait haut et fort qu'il ne voulait pas de cette vie codifiée, normée, réglementée...

A onze ans, la patience des parents, usée, laissa place à une résolution inattendue de la part de personnes aussi influentes. Alors que sa sœur commençait elle aussi à se rebeller, Kanji était devenu un fardeau, une honte qu'il ne fallait pas afficher dans les dîners mondains. En tout honnêteté, il en avait rien à faire, au contraire même. Il restait dans sa chambre, à bricoler et à s'essayer aux activités manuelles. Ils avaient d'abord essayé de l'envoyer en pension, mais il fut renvoyé chez lui une semaine plus tard. Une école militaire ? Si il y était resté une minute de plus, il aurait sans doute envoyé l'instructeur à l’hôpital, après avoir dégommé les brutes de dernière année. Maintenant à court de solutions, ils l'envoyèrent à Iteku, seul avec ses valises...

La légende raconte qu'un petit homme de treize ans s'est exilé de sa famille bourgeoise en ne supportant pas le goût du luxe. La suite dit qu'il serait parti seul, sans se retourner, pour mener sa vie comme il l'entendait. Il aurait soit disant rejoins des gangs, se serait trouvé une place dans un taudis, et qu'en gravissant les échelons, il serait devenu le délinquant le plus recherché par la police. D'autres affirmaient qu'il est parti dans l'espoir de trouver sa propre fortune sans utiliser son nom comme d'un raccourci. Et comme souvent avec le jeune garçon : rien de tout ceci n'était vrai.

En réalité, on l'avait envoyé à Iteku, avec une adresse. Une boutique d'artisans, spécialisée dans la confection de tissus. Kanji ne comprenait pas l'intérêt d'aller là-bas, mais ça avait l'air cool. Le nom de "Mutô" était inscrit dessus, ce qui l'intriguait beaucoup. En s'y rendant, il découvrit deux personnes âgées, travaillant à leur rythme. Des gens simples, qui lui adressèrent un sourire rempli de bonté. En leur tendant le mot, Kanji comprit qu'il s'agissait en réalité de ses grands-parents paternels, qu'il n'avait jamais rencontré auparavant.

Ils firent connaissance, apprenant que son père leur avait tourné le dos en critiquant leur besoin de vivre modestement. Non étonné de cette soif d'argent et de pouvoir, Kanji comprit qu'il allait sans doute vivre de belles choses ici. A vrai dire, le plan des parents, qui consistait à le faire revenir à genoux devant eux, et ce après avoir vu la vie qu'il criait tant de vouloir, fut un échec total. Le garçon s'était adouci, et avait découvert des talents qu'il ne s'imaginait pas d'avoir : la passion pour la couture. On pensait qu'il continuerait sur cette voie et deviendrait un homme calme et apaisé en s'occupant avec ses grands-parents de la boutique, commençant à les appeler peu à peu "papa" et "maman".

Bien sûr, il prit goût à la gestion de la boutique, les sachant fatigués par l'âge et le temps. Hélas, un évènement tragique changea complètement la vision de son avenir. A quinze ans, il dit adieu à son nouveau père, emporté par la vieillesse et la maladie. En partant pour l'au-delà, il lui laissa ses mots : "Je compte sur toi Kanji pour devenir l'homme de la maison, la tête de notre petite famille...".

C'est en se répétant ses mots chaque matin que Kanji devint ce qu'il est devenu aujourd'hui. En voulant s'affirmer, il avait fini par retrouver sa dureté naturelle. Chaque changement physique qu'il ait pu faire, chacune de ses actions, tout n'a été fait que dans le seul but de protéger sa famille, et s'affirmer de plus en plus en tant qu'homme. Il n'avait pas pour autant laissé tomber ses activités, mais il la cachait plus volontiers. Enfin, à quelques semaines de l'évènement qui rendit célèbre Iteku, un gang de bikers connut une triste fin. Au cours d'une nuit calme et fraiche, des motards se sont amusés dans le quartier à faire du bruit avec leurs deux roues. Ces énergumènes empêchant sa "mère" de dormir, Kanji sortit en furie, et après une petite joute verbale, la carrière de ces punks s'acheva dans un chant de moteurs résonnant contre de pauvres crânes rasés...