« Cras amet qui nunquam amavit ; quique amavit, cras amet » C’est sous cette bénédiction que naquit, il y a 25 ans, Charles Luwanov dans la ville polonaise de Cracovie. Né d’un père médecin et d’une mère secrétaire à la mairie, le jeune Luwanov grandit dans un milieu des plus aisés. La chute du bloc de l’est a permis le retour de la classe bourgeoise, au grand bonheur de ses parents. Ils purent enfin évoluer dans la société, acquérir une maison et d’autres possessions. Ils en remercièrent chaleureusement le Seigneur qu’ils avaient dû révérer en secret toutes ces années. Dans un pays aussi bouleversé, un enfant ne peut que dévier… Durant son adolescence, on enseigna au fils de médecin que les libertés venaient d’être retrouvées, qu’il fallait en jouir jusqu’à la dernière goutte, car elles pouvaient repartir tout aussi vite. En parallèle de ses études brillantes, Charles commença à découvrir les drogues les plus diverses. Il assistait à des réunions étranges, où se mêlaient les plus divers étudiants pour divaguer au milieu des fumées psychotropes. Cela eut au moins le mérite d’ouvrir l’esprit de Charles, qui se découvrit des passions jusqu’alors obsolètes. Les mythes et légendes, les récits du passé… tout cela commença doucement à faire vibrer son esprit embrumé. Voilà pourquoi, après le lycée, il décide de s’orienter vers une carrière d’historien, et il va y exceller.

Les universités en Pologne étant encore peu développées dans le domaine des sciences sociales, le talent de Charles poussera ses parents à l’envoyer ailleurs. Décision fut prise de l’envoyer à Iteku, au Japon. Le grand jeune homme se réjouit de cette nouvelle. La jeunesse polonaise post-URSS était, certes, des plus ouvertes, mais l’ambiance n’était pas des plus studieuses durant les soirées nimbées d’opium. A seulement 18 ans, Charles Luwanov entre à la Gekkoukan High-School pour préparer sa licence d’histoire. Les étudiants, les étudiantes… tout ce beau monde est charmant, mais Charles s’ennui. Son allure l’empêche de s’intégrer à ces communautés pourtant très éclectiques. Il se met à lire des mangas, pour essayer de partager des centres d’intérêts avec ses camarades, mais rien n’y fait. Il se retranche donc de plus en plus souvent dans son monde intérieur, là où le moindre de ses rêves devient réalité. L’opium est plutôt rare dans la région, il arrête donc progressivement cette plaie de l’esprit et s’oriente plutôt vers de longues méditations. L’effet est le même, les inconvénients en moins. Charles devient spirituel, presque philosophe. Il se pose des questions sur la vie, sur le concept de liberté. Est-ce que la liberté signifie la destruction de son corps au fur et à mesure des excès ? Est-ce qu’il existe une liberté sans souffrance ? Des questions qui hantent de plus en plus le polonais, tant et si bien qu’il finira par s’éloigner de ses études pour se concentrer sur ses raisonnements. Malgré cela, il obtient sa licence avec brio, mais ne se destine plus à la carrière d’archéologue dont il rêvait depuis son enfance. Il coupe les ponts avec sa famille, restée au pays, et continu de vivre dans sa petite chambre qu’il loue 26 000 yens le mois. Le brillant étudiant devient peu à peu un spectre, errant dans les rues d’Iteku à la recherche de nouveaux questionnements. Il philosophe sur les êtres humains. Sur la place des écrans parmi les hommes. Il couche cela par écrit, sur des carnets qu’il garde précieusement dans un coffre.

Les années passent, il fini par trouver un travail dans une librairie, ce qui le satisfait suffisamment pour qu’il décide de ne pas en changer. Charles a désormais 25 ans, et un évènement va radicalement changer sa vie. Une simple matinée, il n’y avait pourtant rien de différent. Toujours autant d’écrans dans la ville, de lumières aveuglantes que le jeune homme ignorait depuis longtemps. Mais lorsque toutes ces lumières vives s’éteignent, là il est temps de s’inquiéter. D’un œil circonspect, Charles regardait les habitants d’Iteku, puis le visage masqué de la jeune fille. Il alternait entre l’un et l’autre, tout en écoutant le discours si empli de promesses de celle qui était désormais sur tous les murs… et toutes les lèvres. Il y avait bien plus de promesses dans chacun de ses mots que dans n’importe quel discours politique du monde. Les gens ne pouvaient pas croire à l’existence d’un tel prodige ! Et pourtant, les promesses furent tenues. « Un endroit paradisiaque et atypique »… « vous ne rêvez pas »… « une toute NOUVELLE identité »… qui pouvait promettre cela, hormis Lucifer ? Un sourire s’était dessiné sur le visage fatigué du polonais. Il s’approcha tranquillement d’un écran publicitaire sur lequel la jeune fille terminait ses tirades espiègles. Le jeune homme but chaque mot de cette bénédiction à tête blonde. Puis son visage disparu… à ce moment précis, toujours le sourire aux lèvres, Charles plongea son bras dans l’écran comme pour en arracher la substantifique moelle. Puis plus rien, rien d’autre que le blanc, et les rêves qui avaient été tissés en seulement quelques instants. Tant d’attentes, tant de doutes, en si peu de temps… Qui pouvait provoquer cela, hormis Lucifer ? Charles débarqua finalement, pour la première fois, sur les terres de Noerphilie… Sous ses yeux bleus délavés des montagnes d’ambre, des forêts d’émeraude, un ciel de saphir… Il n’avait jamais rien vu de plus vivant que ce monde. Même ses anciens démons ne lui avaient pas offerts des visions aussi belles. Qui donc pouvait le faire alors, hormis Lucifer ?

Depuis le début de cette étrange aventure, Charles se pose sans cesse cette question. Le livre sacré est formel, le Diable seul fait d’impensables promesses et réussit à les tenir. Seulement le prix à payer est lourd, l’âme de l’être ainsi exaucé. Mais une voix, une petite voix au fond de l’esprit de Charles lui disait… « Pourquoi pas ? » Peut-être vendait-il son âme au Démon… Mais il s’en fichait désormais. Il savourait pleinement ces terres oniriques, ces délices qui lui étaient offerts. Peut-être savait-il, au fond de lui, qu’il allait le regretter un jour ? Cela, qui pouvait le savoir… hormis Lucifer ?