Quand je repense à mon arrivée au Japon, j'ai envie de rire. Filer de Londres jusqu'à Iteku, ça n'a pas été simple. Pour déménager à l'autre bout du monde avec des -très approximatives- bases en Japonais et une valise, faut être sacrément motivé ! Ou ne pas avoir le choix. Je peux pas vraiment en vouloir à mon père, il y avait rien de bien brillant qui le retenait au Royaume-Uni. Juste du vieux boulot, des vieux souvenirs et une vieille odeur de fish & chips.

C'est aussi pour le travail qu'on a filé : le chef a reçu une proposition à l'autre bout du monde, une occasion en or de redorer la blason de sa carrière. Redevenir chef de service dans un motel miteux, ça lui avait pas plu. Il se plaignait tous les soirs, si ce n'était tous les matins, et m'assaillait avec des répliques cinglantes du genre «C'est pas croyable qu'un marmot de 15 ans soit plus capable que des gars de 40 balais !» ou «Ils feraient bien d'mettre leur nez dans l’hôtellerie française pour s'instruire !», rien de bien méchant en soi, mais un peu redondant tout de même.

Ma mère n'était plus là depuis un moment, maintenant. Quitter Londres, ça n'a pas été si dur que ça : j'ai bien laissé deux ou trois amis, des histoires et des broutilles, puis j'ai juste pensé à mon avenir au Japon. Comme le vantait mon père, j'assurais déjà le service culinaire à mon âge, et je me débrouillais. En soi, il suffit de savoir sourire et d'être courtois, penser à tout -un peu comme un chef en cuisine- et le tour est joué. Pourtant, pour moi-même, je ne jugeais pas le service comme une vocation, mais davantage comme un boulot bénin.

Ce qui me plaisait, c'était la cuisine : comme serveur, on est jamais bien loin des fourneaux, donc c'est facile de jeter un œil ou deux sur ce qui se fais. A l'époque, j'étais tombé amoureux du dynamisme des cuisines, de la créativité, et cætera. Spoil majeur, je suis pas encore devenu chef. Je me suis rabattu sur le service, faut que je m'améliore et que j'apprenne à pas faire brûler les plats. Tout ça pour dire que j'avais beau m'en aller, j'avais un petit bagage -sinon ma valise- d'expérience.

Puis je suis arrivé à Iteku, j'ai appris la langue sur le tas. J'ai mangé des hiraganas, des katakanas, de la grammaire et -oh mon dieu- des kanjis pendant plusieurs années jusqu'à pouvoir tenir la conversation en japonais. J'ai appris à aimer le pays, sa culture et sa vision englobante de la société : j'ai toujours eu un comportement un peu courtois, donc la question du respect -indispensable à l'intégration- a été vite réglée, pas comme certains gestes traditionnels que j'ai la (très) mauvaise habitude de zapper.

Il s'est passé un tas de choses depuis, je vais pas détailler. Tout ce qu'il y a à savoir, c'est que Iteku n'est pas une ville comme les autres. Depuis deux semaines, j'ai un boulot monstre -toujours de service- à l'hôtel, et c'est pas prêt de s'arrêter vu la situation. Moi aussi, j'ai voulu essayer le phénomène «Noerphilie» dont tout le monde parlait et parle encore : résultat, j'aimerais savoir qui a ressorti les vieux dossiers, personne au Japon est sensé savoir que je suis un fervent adorateur posthume des légendes arthuriennes.