♫ PromisesCombien de temps ? Combien de temps s’est-il écoulé depuis que je suis enfermé dans cette chambre ? Combien mois ? Combien de jours ? De minutes ? De seconde ? Est-ce que les choses ont changés dehors ? J’ai beau regarder par la fenêtre, la rue du quartier est toujours la même. La voisine sort son chien à la même heure, le camion poubelle passe au coin de la rue et la nounou arrive en courant les cheveux ébouriffés pour s’engouffrer dans l’immeuble non loin. Il est 7h45. Tous les jours c’est la même chose.
Je ne sais plus depuis quand je suis là, incapable de franchir cette porte, incapable de mettre le nez dehors. J’entends mon père partir au travail, ma mère allumer l’aspirateur et je suis là, assit sur le lit à regarder dehors. Rien n’a changé. Non vraiment rien. Personne n’est venu me trouver, personne ne s’est inquiété. C’est la même chose, jour après jour, heure après heure.
Finalement ce n’est pas plus mal, d’être enfermé ici plutôt qu’être libre là-bas. Je ne vois plus leurs visages méprisants, hautains et condescendants, je n’entends plus leurs voix murmurer sur mes lunettes, mes cheveux, sur mon manga qui dépasse de mon sac, sur la couleur de mes yeux. Je n’ai plus besoin de nettoyer mon bureau tous les matins à cause des insultes qu’ils écrivent dessus, je n’ai plus besoin d’emmener un uniforme de rechange car il essuie la serpillière sur mon visage, je n’ai plus besoin de manger en cachette car ils renversent mon bento. Non, je n’ai plus besoin de faire tout ça. Car ici, je suis seul, tranquille, sans personne.
Enfin seul, je ne le suis pas vraiment. Elles sont là, toutes ces belles héroïnes, elles m’accompagnent, me sourient dans leurs poses souples. J’entends leurs voix dans la tête, elles me soutiennent et je les couve du regard. Si seulement, je pouvais rester ici pour toujours.
Je m’allonge et je lis. Le nouvel épisode de Magic Kudomo est sorti, Ritsuka est la plus belle d’entre toute, si forte et si courageuse, toujours le mot qu’il faut, juste et agréable. Je le lis en riant, en me disant que j’aimerais être comme elle forte et souriante, mais quand je touche mes lèvres il n’y a qu’un pli misérable.
Ma journée sera comme les autres, je vais bouquiner, jouer à la console, entrouvrir ma porte pour prendre le plateau laissé par ma mère. Soupe miso, poisson grillé, poêlée de tofu fumé et un bol de riz blanc.
Je vais me connecter au chat en ligne sur le forum de Magic Kudomo que j’ai trouvé. Je vais parler, dire combien j’aime les mangas, les animes, que je pourrais passer ma vie à les regarder. On va rire et me répondre la même chose. On va parler de tout et de rien, certains vont me soutenir, d’autres non. Je crois que je les aime bien, ces inconnus…C’est plus facile de leur parler, car ils ne me connaissent pas. Peut-être sommes-nous même amis, même si on ne s’est jamais rencontré…Au moins, avec eux, je n’ai pas peur. Je ris derrière mon écran et l’après-midi passe rapidement.
Il est 16h30. C’est l’heure où ils rentrent tous de l’école. Je les regarde à travers les rideaux, dans leurs uniformes. Mon poing se serre et je m’affale sur mon bureau. La lame tranche ma chair sur mon poignet, plus haut que la veine. J’ai mal, mais je suis bien. Je ne pense plus à rien, juste pendant quelques secondes. Tout semble si facile. Il n’y a plus de peur, plus de joie, juste un sentiment apaisé. Puis les images reviennent et je recommence. Le sang coule un peu, mais je l’essuie avec un mouchoir. Je pose ma tête contre mon bureau. Je fixe ces figurines qui me sourient et je leur rends. Si seulement, je pouvais être comme elles…à sourire. Peut-être que les gens m’aimeraient…
Peut-être qu’on m’aimerait…
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Je suis sorti de ma chambre. Je suis retourné à l’école. Ça a été douloureux. Ma classe n’est plus là. J’ai pris du retard, mais ce n’est pas grave, les cours sont faciles. Les cicatrices sur mes avant-bras ont propagés des rumeurs sur mon compte et on me laisse dans mon coin.
Je n’ai pas besoin d’eux pour être heureux, non, justes d’elles et de Ritsuka. Elles m’attendent le soir dans ma chambre, avec leurs robes volantes et leurs jupons, avec leur sourire figé à jamais.
On est venu me parler aujourd’hui, j’ai répondu et j’ai prêté mon cahier de math. Cette fille m’a souri avant de pouffer et de rejoindre ses amies.
Peu importe, je ne dois pas m’emballer, ce n’est rien. Vraiment rien de bien important…
Elle m’a rapporté mon cahier, il sentait bon. J’ai souris, un peu, elle m’a regardé et a ri en me disant que je devrais le faire plus souvent. J’ai mal aux joues, mais moins mal au cœur. Juste un peu.
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Je suis diplômé, enfin, avec un an de retard mais le principal est que le lycée est finit. J’ai été accepté dans le département d’histoire du Japon à l’université d’Iteku. C’est un peu plus loin que chez mes parents. J’ai envie…de partir. Vivre seul. Vivre avec elles toutes, seul, enfin.
Mon téléphone sonne, le fond d’écran de Ritsuka s’efface pour laisser apparaître un numéro que je ne connais pas. J’ai peur. Je décroche. C’est elle, la fille de ma classe. Elle me dit qu’elle m’enverra des mails car elle part pour Tokyo. Je ne suis pas triste, il y a juste ce sentiment étrange qui me serre un peu la poitrine. Je sens encore ses lèvres un peu gercées contre les miennes quand elle me dit au revoir à la sortie du lycée. Je ne suis pas triste, pas vraiment…peut être juste un peu.
Je ne sais pas trop.
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J’ai déménagé dans un petit studio proche de l’université de Gekkoukan. Ce n’est pas grand, j’ai dû ranger certaines d’entre elles dans des boîtes. Mais Ritsuka trône sur le bureau. Je la vois quand je ferme la porte et je sens ma poitrine se gonfler de courage. Tout devrait bien se passer..peut-être qu’on m’aimera bien là-bas.
Je vais essayer de sourire...un peu.
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J’ai rejoint la superette où je travaille en courant.
Tout à recommencer.
Pourquoi ? Pourquoi s’en prend-il à moi ? Pourquoi est-ce qu’il me râle dessus ? Pourquoi est-ce qu’il me demande de l’argent ? Pourquoi est-ce qu’il me frappe ?
Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ?
J’ai rangé les conserves en tremblant avant de rentrer rapidement chez moi. Je ne veux plus sortir, je ne veux plus quitter cette chambre, cette pièce, cet endroit à moi, où personne ne peut me faire de mal. Je mange ce bento industriel, j’ouvre le tiroir de mon bureau et la lame du cutter brille doucement.
J’entends encore le rire de cet idiot dans mes oreilles, sa voix haut-perchée quand il parle aux filles, ses sarcasmes, son poing sur ma joue douloureuse.
Dehors les lumières clignotent doucement, le néon en face de la fenêtre grésille alors que mes vieilles cicatrices se rouvrent les unes après les autres. La lumière bleue de mon écran se reflète dans ma pupille, j’ai froid…Puis il y a cette femme, Miss Harmonie, puis il y a ce monde Noerphilie, puis il y a la voix de Ritsuka dans ma tête. Mes doigts frôlent mon écran et je bascule…
Peut-être que là-bas, on m’aimera enfin….
Peut-être.