Assis dans la Velvet Room, face au vieillard, tu pousses un long soupir. Il faut vraiment que tu lui racontes toute ta vie ? Un regard vers lui t'informes que oui, il veut vraiment tout savoir.
Avec un soupir tu t'enfonces encore plus profondément dans le dossier, croise les bras et te résous à tout déballer.
T'es né en Amérique, dans la banlieue de Phoenix. On ne peut pas vraiment dire que tes parents étaient pleins aux as, mais vous étiez bien entre vous.
Ton père était agent comptable dans une petite entreprise et ta mère faisait le ménage pour les riches que tu fréquentais. Parce que malgré tous leur soucis financiers, ils ont toujours voulus que tu aies le meilleur au niveau de l'éducation, tu n'as jamais réellement compris ça.
De toute façon, vous n'êtes pas restés très longtemps dans cette partie du monde.
L'année de tes 7 ans, vous êtes partis pour le Japon, rejoindre la famille de ta mère. Le nom de la ville t'as marqué parce que dans ta tête de petit garçon elle t'es apparue comme très drôle : Iteku. Tu ne vois plus ce qu'il y avait de si amusant dedans, mais c'est resté.
Le fait que ton père soit américain et ta mère japonaise a été d'une grande aide pour toi : depuis ta plus tendre enfance tu as toujours parlé japonais avec ta mère et anglais avec ton père. Les difficultés d'intégration dans ce nouveau pays étaient donc amoindries — bien qu'elles soient toujours présentes.
C'était bizarre d'arriver dans un pays totalement différent. Le petit garçon surexcité que tu étais était étonnamment calme, essayant de tout emmagasiner dans sa petite tête.
C'était un peu dur au début de bien comprendre le fait que tu allais définitivement habiter ici. Tout était tellement... différent. Les gens. Les bâtiments. Les vêtements. Tu restais désespérément accroché au bras de tes parents qui n'arrêtaient pas de rire à tes côtés.
Au fil des années, tu réussis quand même à plutôt bien t'intégrer. Tes parents avaient un peu moins de soucis d'argent qu'auparavant et tu avais remarqué que ton côté américain — la partie que tu avais le plus reçu de la part de ton père — plaisait énormément. Pour quelle raison ? Mystère complet. Mais on ne pouvait pas nier que ça ne te plaisait pas. Tu n'étais plus le petit nouveau. Bon, tu étais toujours avec des riches, tes parents ne démordaient pas là-dessus, mais tu avais réussi à faire ta place sans que personne ne sache quoi que ce soit à propos de vos soucis. Personne n'était jamais venu chez toi et c'était très bien comme ça.
Un jour, une nouvelle est arrivée. Plus jeune que les élèves de ta classe d'un an, elle avait très certainement sauté une classe. Elle semblait être forte, à première vue. Un de tes camarades commençait déjà à divaguer à sujet (bon, à 15 ans faut pas s'étonner). Sauf que toi, ça t'énervait. Sans savoir réellement pourquoi. Tu te rassis sans plus lui jeter un coup d'oeil. Du moins t'essayais.
Durant toute l'heure de cours tu te forçais à regarder le prof, pas l'autre. La nouvelle. La blondasse, là. Quelque chose t'intriguait chez elle.
A la fin de la journée t'étais bien décidé à oublier ça et retourner chez toi bidouiller sur l'ordinateur familial.
Les mains dans les poches de ta veste, tête baissée, t'avançais tranquillement dans les couloirs de ton lycée, ne pensant qu'à ce qui t'attendait arrivé chez toi.
En passant devant les vestiaires un bruit attira ton attention. Tu t'arrêtas le temps d'écouter. Une voix féminine. Une voix féminine accompagnée de plusieurs autres masculines. Un haussement d'épaules et t'étais prêt à t'en aller. Ce qu'ils font entre eux, c'est pas vraiment tes oignons. S'ils avaient des envies bizarres, grand bien leur fasse. Toi, t'avais d'autres chats à fouetter.
Alors que tu t'apprêtais à t'en aller, un cri étouffé retentit derrière toi. Un grognement s'échappa de tes lèvres et tu te retournas, ne réfléchissant même plus.
Tu rentres dans le vestiaire sans même regarder qui étaient les personnes impliquées et t'assois sur le premier banc de libre.
« Sérieusement les mecs ? Il y a pas assez de filles consentantes à votre goût ? Vous êtes obligés d'en prendre une qui a pas envie ? »
Tête relevée tu les regardes les uns après les autres, un air désespéré sur le visage. Ils s'approchent de toi tel un mur, ne réussissant qu'à t'arracher un rire. Tu les dépassais d'au moins une tête.
Ne leur accordant pas le moindre regard, tu te diriges vers leur victime qui est restée du côté durant tout ce temps. Elle relève la tête vers toi. C'est l'autre blonde, la nouvelle. Ses yeux bleus rougis et des traînées de larmes sèches sur ses joues. Tu te mords la joue et prend sa main, lui murmurant à l'oreille.
« T'inquiètes pas, ils te feront plus rien. Ok ? »
Tu repars avec elle, lançant au passage un coup dans les tibias des agresseurs. Tu la raccompagnes jusque chez elle, le trajet s'étant fait entièrement dans le silence, la jeune fille reniflant de temps à autre.
Une fois devant la porte de sa maison tu lui lances un mince sourire et lui un fait signe d'au revoir de la main.
« Au fait... Je m'appelle Arisa. »
« Noah. Enchanté. »
Ce jour-là a été le début de tout.
Peu à peu tu t'es mis à apprécier cette fille qui t'avait semblait si forte le premier jour et découvrit que ce n'était qu'une apparence. Apparence qu'elle se forçait à avoir à cause de ses parents qui étaient très strictes avec elle.
Elle est devenue ta meilleure amie, tu es devenu le sien, vous ne pouviez plus vous passer l'un de l'autre et tout le monde disait que vous finiriez ensemble, un jour ou l'autre. Cela vous faisait rire, vous saviez très bien que ce serait impossible. Cela serait trop étrange, vous leur répondiez.
A côté de ta relation avec Arisa, que tu préférais appeler Isa, ta passion pour l'informatique et tout ce qui s'y rapportait s'était développer mais tes moyens de te débrouiller étaient très limités : tes parents avaient de plus en plus de soucis à garder un toit sur la tête.
Les petits riches que tu côtoyais tous les jours à l'école te tapais de plus en plus sur le système. Ils se plaignaient de tout et n'importe quoi, sans même se rendre compte de la chance qu'ils avaient. Tu aimais de moins en moins rester avec eux, préférait la compagnie de tes compagnons robotisés et de ta meilleure amie.
Puis un jour, en rentrant des cours, une voiture de riche était garée dans l'allée de votre maison. Tu t'approchas lentement de la fenêtre de la cuisine entrouverte où trois silhouettes étaient visibles. Tu t'accroupis en-dessous, tous tes sens en alerte, cherchant à savoir ce qu'il se passait.
Des mots te parvenaient ici et là et tu ne voulais pas croire ce que t'entendais. Un bruit sourd retentit, puis un cri de femme et un
"je vous avais prévenus".
Coup d'oeil rapide.
Ton père était au sol.
Tu t'éloignas rapidement et en silence, ne voulant pas savoir plus que ce que t'avais vu. Tes parents devaient des dettes à cet homme. Ils s'étaient endettés à cause de toi. Tes poings se serrèrent, tes ongles entaillèrent la peau de ta paume.
il était hors de question que tu ne fasses rien pour les aider.
Lorsque la "descente aux enfers" commença, tu avais 17 ans et elle se termina deux ans plus tard.
Durant ces deux ans, tu aidas du mieux tes parents en vendant tes services ici-et-là, revendant des produits plus que douteux. Tu te fichais royalement de ce que c'était. Tant que ça pouvait ramener de l'argent à tes parents.
Malheureusement, ta relation avec Isa s'était entachée à cause de ça. Tu ne la voyais plus aussi souvent qu'avant, ne venait te glisser dans sa fenêtre que très rarement.
Et puis un jour tu es allée la voir. Tu n'avais pas bu. N'avais pas fumé. Tu étais entièrement sobre mais ta journée avait été totalement bousillée : l'homme était revenu et avait demandé encore plus d'argent à tes parents.
Tu étais allé directement chez Arisa, dans le but de passer une dernière soirée avec elle avant de disparaître de sa vie parce que vu le peu de fois où vous vous voyiez, autant partir. Cela reviendrait au même et lui causerait moins de soucis.
Sauf que ça ne s'est pas réellement passé comme ça.
Accroupis derrière un buisson, tu la vis arriver en courant et poursuivie par un autre. Deux enfants qui jouaient. Ton cœur se serra en voyant qu'elle t'avait déjà remplacé.
Tu te relevas et parti.
Quelques mois plus tard tu étais parti de chez tes parents et t'étais lancé dans ta carrière d'informaticien.
Tu envoyais régulièrement de l'argent à tes parents comme remerciements pour tout ce qu'ils avaient fait durant toutes ces années.
Tu t'arrêtes un instant et regarde le vieillard qui t'écoute toujours, tel le plus attentif des élèves. Tu pousses un long soupir. bon, le plus long est passé. Il reste plus qu'à raconter pour Noerphilie.
D'ailleurs, cette annonce t'as tout de suite intrigué et intéressé.
Ton service d'informatique florissait, tu vivais tranquillement au jour le jour sans jamais te poser avec qui que ce soit, vivant le moment présent.
Et puis cette nana bizarre est arrivée présentant une sorte de monde parallèle. Tu n'as même pas hésité un instant et a plongé dans cet univers dès que tu en as eu la possibilité.
Arrivé là-bas, t'étais tout excité pour tout l'univers qui était radicalement différent de ce que tu connaissais. Bon, lorsque tu as aperçu ton reflet et que tu t'es rendu compte de ton apparence de gamine, ça a un peu refréné tes envies.
Mais après quelques instants de réflexion tu t'es dis que c'était peut-être un meilleur moyen de se rapprocher d'Isa, sans qu'elle sache qui est derrière cette apparence.
T'y retournes régulièrement, sans y passer trop de temps. Ton petit cerveau de scientifique n'arrête pas de te dire que c'est pas bon de rester trop longtemps dans un univers parallèle. Que tu risques de perdre le goût des vraies choses.