->Précédemment...

Le chemin avait été long, mais tranquille. Personne ne les avait interrompu ou agressé, et c'était tant mieux. Callaghan ouvrit la porte de son appartement, entrant alors avec Sif. C'était un domicile plutôt sobre mais joli, avec beaucoup d'espace et une propreté absolue. Il y avait un grand salon qui donnait sur une cuisine avec comptoir, ainsi qu'un étage où se trouvait sa chambre. Il avait également une chambre d'ami, un bureau et une grande salle de bain, alors qu'il déposait son sac et son harnais sur sa table-basse. Akando se mit en tête d'aller chercher une vieille rallonge dans son bureau, pour le brancher sur une prise électrique et la lui tendre


Il se faisait le plus cordial possible, se sentant naître une âme de protecteur envers les SDF et ceux que la "justice" oubliait le plus. Ceux que la société recalaient le plus au rang d'inexistants, qui ne pouvaient subir que le mal et être ignorés par le bien. Il ne voulait pas l'admettre et encore moins l'assumer, mais ce qu'il faisait était, par rapport à ses habitudes, le plus proche qu'il puisse concevoir qui se rapporte à de la gentillesse.

Sif suivit C. sans rien dire, trottinant derrière lui à travers les rues de la ville. Elle pouvait presque voir son énergie diminuer à chaque pas, et il ne restait que 0.2 % de charge quand ils arrivèrent enfin. Encore treize minutes, et elle s'effondrerait, plus raide qu'une poutre en acier. Un détail qui passa au second plan au moment d'entrer chez C. C'était sa première fois à l'intérieur d'un des bâtiments de la ville, et la différence était flagrante. Ici, tout était propre, impeccable, parfaitement entretenu. Elle avait l'impression de jurer avec le décors. Quelqu'un capable d'entretenir son chez-moi comme ça devait forcément savoir la réparer. Plantée au milieu du salon, immobile, elle enregistrait tous les détails. Les meubles, l'agencement, le peu de décoration. C'était plus accueillant que la rue. C'était donc ça, un chez-moi. Résidence. Logement. Adresse. Domicile. L'endroit où les gens normaux allaient pour dormir et manger, là où ils rangeaient leurs affaires. Si elle voulait vivre comme quelqu'un de normal, elle aurait besoin d'un chez-moi, elle aussi. De ça et de quoi d'autre ? Elle n'était pas bien certaine de savoir ce que faisaient les gens normaux, mais elle pouvait toujours découvrir au fur et à mesure.

Elle tourna la tête quand C. revint, un câble entre les mains. Une rallonge. Pas exactement adaptée pour ses propres connectiques, mais ce n'était pas un problème. Elle la prit des mains de C.

"Merci !"

Puis d'un geste elle arracha une des extrémités, triturant les fils et les arrangeant pour qu'ils entrent dans son œil, et se dirigea vers une des prises qu'elle avait déjà repérées. Des prises. Relais vers le réseau électrique centrale de la ville permettant d'alimenter les objets domestiques des particuliers. Elle ne rentrait pas dans cette catégorie mais la prise remplacerait très bien l'éclairage du pont. Elle finit par enfoncer la rallonge dans son œil. Aussitôt, sa batterie commença à remonter. Elle s'assit en tailleur devant la prise et se tourna vers C.

"Et maintenant ?"

Il observait son comportement, minutieusement, sans pour autant se faire intrusif. Elle savait visiblement ce qu'elle faisait, et elle était très perspicace. Mais il n'avait pas oublié le plus important : il devait la réparer... Il se rendit rapidement dans son bureau pour ramener une grande caisse d'outils, dont une bonne partie étaient des outils spécifiques volés à de grandes entreprises d'ingénierie ou de métallurgie. Il poussa un peu la table basse pour la déposer dessus, s'installant sur un fauteuil en organisant un espace de travail improvisé


Bien entendu, il ne savait rien d'elle : ce qui la composait, comment elle avait été construite... Jusqu'à sa rencontre, il ignorait même que des androïdes existaient ! Mais il avait au moins quelques outils volés à une manufacture de robotique, ce qui lui permettrait peut-être d'avoir de quoi effectuer une réparation sommaire s'il se débrouillait bien et faisait très attention à ce qu'il faisait. Callaghan continuait d'organiser ses outils, se préparant à devoir faire marcher sa cervelle assez intensément...

C'était le genre de travail dans lequel il n'aurait pour rien au monde refusé de se lancer. L'informatique était un sujet intéressant, mais la robotique, l'électronique... Ça aussi, c'était quelque chose qui le bottait outre-mesure. Alors réparer une androïde, pour lui, c'était une occasion en or qu'il n'aurait manqué pour rien au monde. Après tout, il ne collectionnait pas les outils volés juste pour les entreposer dans une boîte...

Elle hocha la tête et s'allongea. C. avait branché la rallonge sur la prise la plus proche du canapé, et en se tournant dans le bon sens elle put s'installer sans trop tirer sur le câble et sans arrêter de se recharger. Du coin de l’œil elle regarda les outils déballés par C., et même si elle ne les connaissait pas elle en reconnaissait quelques uns. Elle les avait déjà vus au laboratoire, quand elle s'était éveillée la première fois. Si la scientifique du laboratoire avait les mêmes, ça devait forcément être les bons outils. Même si elle ne les connaissait pas, ils devaient forcément servir à la réparer. Elle réalisa que, même si elle avait mal, elle ne savait pas à quoi ressemblait la blessure. Il n'y avait pas de miroir dans le salon, et elle n'avait pas été regarder dans les autres pièces.

"Tu as un miroir ? Je ne sais pas à quoi je ressemble sous ma peau, et quand tu m'auras réparée je ne pourrais plus regarder."

A part sa bouche, qui s'était agitée alors qu'elle parlait, elle était immobile. Ses deux bras étaient étendus le long de son corps, les mains à plat contre les coussins. Le canapé était confortable, moelleux. Elle aurait été tout aussi immobile sur un sol de béton, mais au moins l'exercice était agréable. En attendant que C. fasse quelque chose, elle ferma son œil. Même avec les systèmes de diagnostique qui lui envoyaient des signaux en permanence pour sa blessure au cou, elle n'avait encore jamais eu droit à autant de confort depuis son réveil.

En écoutant sa requête, Callaghan délaya alors un peu sa réparation pour aller dans la salle de bain, chercher un miroir. Il le positionna de sorte à ce qu'elle puisse voir l'ouverture à sa gorge, qui dévoilait les composants qui faisaient ce qu'elle était. Lui-même était assez impressionné par tout ce qu'il voyait : c'était un domaine majoritairement inconnu pour lui, et tout était nouveau. Ça serait une expérience intéressante, mais il n'avait pas l'intention pour autant de mal faire le travail par incompétence. Il préférait devoir s'y reprendre à plusieurs fois que rater une réparation...

Une fois qu'elle eut un peu de temps pour voir, il prit un premier jeu d'outils, avant de regarder sa gorge, lui annonçant tout de même ses intentions pour ne pas l'inquiéter et pour qu'elle sache à quoi s'attendre


Il prit alors un petit scalpel pour retirer proprement et soigneusement les morceaux qui dépassaient, déchiquetés et un peu sales, pour laisser un espace bien propre et lisse. Il regardait dans une autre partie de sa boîte, contenant des échantillons de matériaux et autres objets curieux qu'il avait obtenu dans une caisse cette fois-ci non pas volée, mais offerte par un ancien ami japonais travaillant dans le milieu de la robotique et de la revente de surplus de composants, disons... "derrière le dos de la direction".

Après un temps, il sortit une plaque métallique. Il ne pouvait pas recréer sa peau, alors... Il faudrait bien qu'il trouve une autre solution. Il prit une empreinte de la blessure avant d'enfiler une paire de lunettes étanches, s'en allant dans son bureau pour découper au cutter à plasma la pièce précisément selon la forme, revenant en la posant sur la plaie pour vérifier que la forme convenait. Après un temps passé à polir le métal, il la regarda un peu, prenant un temps


Cela voulait dire que si elle tenait toujours à cacher son identité d'androïde, elle devrait masquer son cou en permanence... Même si, en dehors d'un ingénieur en robotique, tomber sur Callaghan pour des réparations, il y avait bien pire comme situation. Il restait quelqu'un de minutieux n'acceptant même de sa part que le travail exécuté à la perfection et dont on chasserait la moindre petite erreur, si infime soit-elle.

C. prit la peine d'aller lui chercher un miroir. L'ouverture était étroite, légèrement déchirée d'un côté, irrégulière sur toute la longueur. Dessous elle pouvait voir des morceaux de pistons, des fils électriques de plusieurs couleurs, elle crut même voir deux engrenages, plus des éléments qu'elle connaissait même pas de nom. Elle n'avait pas reçu le savoir de ses créateurs, pas tout en tout cas. Pas celui qui la concernait directement. Même ce que C. lui dit, elle ne le comprit que parce qu'il employait des mots simples. Il savait mieux qu'elle comment elle fonctionnait. En pensant ça elle se rappela la façon dont il avait neutralisé les deux hommes sous le pont. Eux aussi, il savait mieux qu'eux comment ils fonctionnaient. C. était gentil, il s'occupait d'elle et il l'acceptait, mais il était aussi dangereux, et elle ne parvenait pas à l'oublier.

"Ça me va."

Toujours immobile, elle regardait le reflet de C. s'affairer sur le sien, lentement, minutieusement. Elle n'avait aucun souvenir de sa création. Avait-elle ressemblé à ça ? Ou sortait-elle d'une autre machine, une chaîne de montage ? Les enregistrements ne disaient pas grand-chose à ce sujet. Elle n'était même pas certaine d'être unique. Peut-être y avait-il d'autres Sif, dans d'autres villes ? Peu probable. Rien ne le laissait penser.

Elle continuait de fixer le miroir. Penché en avant, le dos de C. occupait presque tout l'espace, mais elle pouvait encore voir son visage. Elle était couverte de crasses, et ses cheveux étaient emmêlés en plus d'être sales. La robe qu'elle avait récupérée, elle le savait, était dans le même état. Les gens normaux, eux, étaient propres. Elle les observait depuis cinq jours, et ils étaient toujours impeccables, comme C. et son chez-moi, comme elle quand elle avait débarqué à Iteku cinq jours plus tôt. Si elle voulait une vie normale, en plus d'un chez-moi, elle devrait rester propre. Aussitôt, l'image d'un bain s'imposa à elle. Un bain chaud, relaxant. Est-ce qu'elle supportait l'eau ? Elle savait que les machines avaient parfois des problèmes quand elles étaient mouillées, mais ignorait si ça serait son cas.

"Est-ce que tu as une baignoire ?"

Suite à sa réponse, Callaghan sortit alors de petits morceaux de métal qui étaient des pas de vis. Il s'occupa alors de les fixer, avec une pâte fixante très puissante, faisant extrêmement attention à ne pas endommager le moindre composant. Enfin, une fois les pas de vis tous parfaitement organisés en carré - la forme de l'ouverture qu'il avait découpé - il prit la plaque de métal et sortit une presse à vis, déformant le métal pour qu'il prenne naturellement l'angle de son cou pour avoir l'air au moins un poil plus naturelle. Enfin, la dernière étape fut le vissage : à la visseuse haute-puissance, il graissa les vis avant de fixer la plaque métallique. Au final, de loin, on pouvait à peine même discerner que c'était une plaque de métal remplaçant son cou : il avait fait du travail propre et millimétré, la peau de son cou très légèrement prise par le métal pour être étanche à 100%.

Après une couche d'isolant pour bien faire la jonction entre le métal et sa peau, il l'essuya avec un chiffon, se décalant en entendant sa deuxième question, retirant ses lunettes grossissantes


En temps normal, il n'était pas si aimable avec les gens. Du moins, pas plus que ça. Mais cette fois, c'était un peu particulier : ce n'était pas un être humain normal, c'était une androïde. Quelqu'un qui avait une vision du monde si radicalement différente qu'il ne pouvait pas vraiment la repousser ou la rejeter, il se sentait plus la prendre en pitié et l'aider plus qu'autre chose. Et comparé à autrefois, cette fois, il avait l'argent de son côté pour lui permettre d'accomplir ce genre de chose.

Akando lui montra alors la salle de bain, après avoir passé le miroir une dernière fois pour qu'elle puisse constater son travail. Il avait été précis, minutieux et extrêmement attentif pour que le moindre millimètre de son travail soit bien fait. Seul point négatif, il n'avait pas pu répliquer sa peau originale...

Elle se redressa, regardant le travail de C. Il avait refermé le trou, mais pas remplacé la peau. Ses systèmes de diagnostique ne percevaient pas la plaque comme une réparation suffisante. Sif si. La plaque grise se fondait presque dans la peau, déjà pâle, de l'androïde. Sa forme correspondait, et ce même quand elle bougea la tête pour éprouver les limites de la réparation. Comme le signal constant occupait une part de sa puissance informatique, en plus d'être très désagréable, elle ferma son œil. Même si c'était assez limité, elle pouvait infléchir ses systèmes. Un peu. Elle le sentait. Elle pouvait contraindre les systèmes de diagnostique à ignorer ce dommage, et celui-là uniquement. Mais elle aurait besoin de temps.

Du temps s'était écoulé pendant que C. la réparait. Pas trois heures, ses batteries n'étaient pas entièrement rechargées, mais elle avait gagné près d'une journée d'autonomie déjà. Assez pour mettre la recharge en pause le temps de se laver. Et ce serait l'occasion de faire taire la douleur dans son cou. Elle se leva, retira la rallonge de son œil et de la prise puis la roula et la posa sur la table basse, avec les outils.

"Merci !"

Elle faisait aussi bien allusion à la réparation qu'à la proposition d'utiliser la salle de bain. Là où se trouvaient les baignoires, là où on se lavait. Elle prit la direction de la salle indiquée par C. et s'y glissa. La pièce était plus petite que le salon, il y avait moins de place pour circuler. Mais il y avait une baignoire. Elle se souvenait de comment marchaient les baignoire. D'abord mettre le bouchon. Ensuite faire couler l'eau. Un robinet pour l'eau chaude, un pour l'eau froide. Elle voulait de l'eau chaude. A peine avait-elle tourné le robinet que de l'eau se mit effectivement à couler. Sif la regarda un instant, puis sa question lui revint. Pouvait-elle aller dans l'eau ? Elle commença par prudemment passer ses doigts sous le jet transparent. Rien. Elle passa la main, toujours rien. Elle allait passez le bras mais réalisa que ça ne se faisait pas. Les gens normaux ne prenaient pas de bains avec leurs vêtements. Et elle risquait d'abîmer l'enregistreur. Elle retira la robe et la plia, la posant soigneusement sur un placard. Il y avait désormais une petite flaque au fond de la baignoire qui grandissait en permanence. Elle souleva une jambe et y posa un pied. Rien. Des capteurs lui retransmettaient des informations sur la température, et le contact de l'eau était une sensation nouvelle, mais rien ne semblait poser de problème. Elle se mit complètement debout dans l'eau, qui atteignait ses chevilles. Puis elle s'assit, et finalement s'allongea. L'eau montait jusqu'à son menton, enveloppant le reste de son corps. Aucun problème. Mais elle ne se sentait pas spécialement détendue. Elle savait que l'eau était chaude, mais la chaleur n'avait pas sur elle le même effet que sur quelqu'un de normal. Un peu déçue de cette découverte, elle se laissa complètement glisser dans l'eau et se concentra sur ses systèmes de diagnostique.

Elle resta près d'une heure dans la salle de bain. Le temps de reconfigurer les systèmes pour qu'ils acceptent la réparation de C. comme suffisante, puis de faire partir la saleté qui la maculait (surtout ses cheveux) puis les passer au peigne pour faire partir les nœuds et les lisser. Elle avait pensé à vider la baignoire, la rincer – elle devait tenir ça d'un de ses créateurs, particulièrement pointilleux sur la propreté – à se sécher et à remettre la robe, avant de retourner au salon. Elle avait eu l'occasion de se regarder dans un miroir, celui au dessus du lavabo. Elle avait effectivement une meilleure allure comme ça, même si la robe restait miteuse. Une fois de retour dans le salon, elle fila vers la rallonge et se rebrancha.

"Merci encore !"

Pendant qu'elle prenait son bain, Akando avait prit la liberté d'aller chercher des vêtements dans ses armoires. Des vêtements propres, qui seraient à peu près de sa taille, pour qu'elle ait au moins autre chose qu'une robe miteuse probablement trouvée dans une poubelle. La recherche avait été longue, mais c'est dans ses vêtements "de nuit" qu'il trouva le plus adapté : un bermuda à motifs camouflage avec des poches un peu partout, un débardeur qui était de toute façon un peu trop petit pour sa carrure assez carrée, et une veste en jean. On ne pouvait pas appeler ça le comble de l'élégance, mais c'étaient des vêtements propres et en parfait état.

Avant qu'elle ne finisse son bain, il s'occupa de les repasser, les déplier... Et une fois qu'elle sortit, elle les lui présenta alors en s'approchant d'elle


Callaghan lui posa les vêtements dans les mains, avant de la laisser se changer en allant dans son bureau ranger ses outils et les réorganiser. Il se ferait un petit coin pour la robotique, puisqu'il soupçonnait être la seule personne aisée à trouver à Iteku qui ne chercherait pas à la charcuter plutôt qu'à la réparer. Il pouvait être si tentant, après tout, d'ouvrir une androïde sans défenses pour tout apprendre de son fonctionnement, au détriment de sa santé ? Et ça, il ne pouvait le concevoir. Il était peut-être un criminel, un manipulateur, un maître-chanteur et un voleur, mais le meurtre était un concept plus délicat pour lui.

Pour lui, tuer n'a jamais été un jeu ou une action à prendre à la légère. On peut réparer un vol, on peut réparer un chantage, mais on ne peut pas réparer un meurtre. Lorsque quelqu'un est mort, il l'est pour de bon. Et bien que par le passé il n'eut pas le choix par moments, ces expériences ne sont pas quelque chose dont il tirait une quelconque fierté. Rien qu'à l'idée de se souvenir des meurtres, il resta un peu sur sa chaise, le regard vague, pensif...

Les coups de feu, les cris... Dans cette ville des États-Unis, il était presque plus facile de trouver de quoi tuer son prochain que de quoi se nourrir. La drogue était presque la monnaie locale, et le bruit d'un pistolet dans une ruelle était presque aussi banal que le bruit du camion du marchand de glaces passant sur une avenue. Il n'avait pourtant pas eu le choix, ce jour-là : c'était le dealer ou Akando. L'un d'eux devait mourir. Alors il avait saisi son arme, son cœur battant la chamade, et en un tir, tout était fini. Ce qui l'effrayait le plus n'était pas qu'il avait été jusqu'à tuer un homme, mais qu'il avait prit le temps de maquiller la scène de crime en suicide pour n'avoir aucune répercussion à craindre. Manipulation des preuves, destruction de l'arme... Rien n'avait été laissé au hasard, et pour tout le monde, il s'agissait d'un homme trop malheureux qui avait mit un terme à sa vie.

Revenant à la réalité, il se redressa un peu en secouant la tête, se raclant la gorge en reprenant son rangement, reprenant son sang-froid.

Elle tendit les bras quand C. lui apporta les vêtements. Elle ne les avaient pas demandés pourtant. Et elle n'avait fait aucune remarque sur le fait que sa robe était usée. Il avait décidé tout seul de les lui apporter. Elle les déplia un à un, toujours assise sur le canapé. Ils étaient propres, en bon état, à la bonne taille. Le temps qu'elle les regarde, C. était sorti, alors elle n'eut aucune hésitation à retirer la robe. Elle enleva l'enregistreur de sa poche et le posa sur une table, plia la robe sur le canapé, puis enfila les vêtements. Le contact du pantalon autour de ses jambes était étrange, il gênait ses mouvements. La plupart des gens dans la rue en portaient aussi, C. aussi. Pourquoi portaient-ils tous quelque chose d'aussi peu confortable ? Elle ne comprenait pas, mais si c'était ce qu'il fallait faire, elle s'y plierait. Elle testa pour voir jusqu'où elle pouvait encore bouger, presque autant qu'en temps normal. Tant qu'elle n'aurait pas à… Non, il ne serait pas gênant. Il serait très bien. Et le débardeur était très bien, la veste aussi. Elle fit quelques tours de bras pour tester, mais la veste flottait sur elle et elle pouvait bouger comme elle le voulait. Le miroir était encore là et elle se regarda. Elle n'avait plus rien à envier à ceux qu'elle avait croisés dans la rue pendant cinq jours, maintenant. Elle rangea l'enregistreur dans la poche intérieure de la veste. C. avait dit de lui faire signe quand elle serait changée. Quel genre de signe ?

"C. ?"

Elle n'avait pas appelé très fort, et se dit vite qu'il n'avait pas pu entendre. Elle laissa tout de même passer quelques secondes, au moins deux, juste au cas où, mais elle n'eut aucune réaction et recommença, un peu plus fort. Toujours pas de réponse. Elle ne savait pas quelle taille faisait l'appartement de C. mais si elle parlait assez fort, il entendrait forcément. Elle appela une troisième fois, plus fort encore. Toujours pas de réaction. Elle n'osait pas crier, c'était… Mal ? Ça ne se faisait pas ? Elle savait que ça ne se faisait pas. Il avait du entendre, peut-être qu'il faisait juste quelque chose. Elle allait attendre ici. Elle était toujours branchée, elle ne pouvait pas bouger. Elle s'assit et fixa la télévision, en face d'elle. Une télévision servait à regarder des émissions. Les émissions servaient à se distraire ou s'informer. Se distraire servait à occuper agréablement son temps. Elle allait utiliser la télévision. Elle tendit la main et attrapa la télécommande. Une pression et l'écran s'alluma sur un dessin animé. Elle le connaissait. Elle ne l'avait jamais vu mais elle le connaissait. Elle reconnaissait les personnages, elle comprenait l'histoire. Elle pouvait même murmurer les dialogues en temps réel. En anglais, pas en japonais, mais c'était les bons dialogues. Et elle se sentait concernée par les aventures des personnages fictifs. Elle avait envie de voir si le héros allait vaincre le méchant, si le monde allait être sauvé, même si elle le savait déjà. Et pendant qu'elle regardait, elle ne pensait pas à autre chose.

Il était resté un moment dans ses pensées, et il présumait au son de la télévision qu'elle devait avoir fini de se changer. Callaghan retourna alors dans le salon, s'étirant un peu sur le chemin, voyant un épisode de Super Sentai Fusion X diffusé. Un sourire en coin apparut brièvement sur son visage, se souvenant de ce dessin-animé un peu kitsch mais amusant, alors qu'il allait s'assoir à côté d'elle, prit dans une sorte de conflit intérieur : d'un côté, elle était comme une enfant qui ne savait pas grand chose de la vie et à qui il fallait donner le bon exemple. De l'autre... Il était tout sauf le bon exemple. Après un temps passé à considérer la question, il finit par engager la conversation


Avec un air un peu blessé mais malheureusement conscient de la vérité qu'il pensait montrer, il poursuivit en regardant la télévision et en montrant le méchant du dessin-animé en train d'exploser sur un fond vert assez mal incrusté


À bien y réfléchir, il se trouvait beaucoup plus proche du méchant que du héros, dans ce monde. Il aurait aimé que ça soit de la fiction, mais ce n'en était pas. En temps normal, ça ne le dérangeait pas, mais en présence de quelqu'un pouvant faire preuve d'autant d'innocence et d'insouciance, il se sentait presque comme un éléphant dans un magasin de porcelaine armé d'un lance-roquettes hurlant en suédois... à deux heures du matin.

Elle leva le regard vers C. quand il entra dans la pièce, continuant d'écouter le dessin animé, et le suivit quand il vint s'installer à côté d'elle. Il avait l'air concentré. Et il souriait. Elle ne savait pas bien ce qu'il pouvait penser. A côté, l'épisode continuait. Le héros prenait l'avantage dans le combat, faisant appel à ses amis pour le soutenir, et le plan de destruction du monde du méchant était définitivement enrayé. C. choisit ce moment pour parler, et Sif hocha la tête en l'écoutant. Elle ne comprenait pas pourquoi il disait ça. Elle comprenait ce qu'il voulait dire, elle l'avait vu à l’œuvre, mais pourquoi le disait-il ? Elle reporta le regard vers l'écran. Le héros retournait chez lui avec ses amis pour célébrer sa victoire.

"Ce n'est pas comme ça que ça marche. Dans les dessins animés tout est simple, les gentils sauvent le monde et les méchants cherchent à faire le mal. Mais ils ne sont pas réels. Dans la réalité, personne n'est mauvais pour être mauvais. Tout le monde suit sa motivation et fait ce qu'il pense devoir faire, tout le monde est le héros de son propre point de vue. Et la violence ne résout rien. Elle n'empêche pas les méchants de faire le mal. Elle ne fait qu'empirer les choses. Et même si ce n'était pas vrai, même si ce genre de méchants existait, si ils prenaient conscience du mal qu'ils font, s'ils réalisaient qu'ils étaient les méchants de l'histoire, ils arrêteraient. Ils chercheraient un autre moyen. Personne ne veut être le méchant."

Tout les amis du héros étaient venus à la fête, ils étaient heureux, puis ils étaient rentrés chez eux, et le monde avait retrouvé son état normal. Fin de l'épisode, début des publicités. Elle tourna le regard vers C.

"Tu ne ressembles pas à un méchant. Tu fais peur, mais tu es gentil. Tu m'as aidée, même sans que je demande. Et tu m'as protégée. Tu ressembles plus au gentil qu'au méchant."

Elle ne savait pas d'où elle sortait tout ce qu'elle disait, mais elle le pensait. Elle ressentait quelque chose, ou du moins ne trouvait pas de meilleur moyen de le décrire. Elle ne savait pas ce que c'était, mais ça lui donnait envie de sourire. Ce qu'elle fit. Elle avait aussi envie de serrer C. contre elle ou de faire quelque chose pour lui. Pendant une fraction de seconde elle réfléchit à ce que ça pouvait être, et finit par se dire qu'il devait s'agir de gratitude.

Il était compliqué en règle général de comprendre Callaghan. Et pourtant, cette jeune androïde qu'il avait rencontré le soir même venait de le déchiffrer comme un puzzle résolu par un surdoué. Elle le déchiffrait avec une aisance presque déconcertante, et il le sentait bien : elle avait décidément un don. Pour une fois, il ne vit pas les possibilités lucratives d'un tel don, mais seulement ce qu'elle en faisait. Il se sentait plus léger que quelqu'un le comprenne et accepte ses défauts plutôt que de les lui ressasser en boucle, ricanant alors un peu en acquiesçant, se présentant pour de bon, cette fois-ci


Et il le pensait. Il avait comme l'impression de retrouver la sœur qu'il avait perdu autrefois, sa sœur qui savait toujours le guider vers la paix et la sérénité. C'était encore loin d'être définitif, mais au moins, il ressentait cette légère chaleur que lui conférait la présence d'une famille qui s'intéressait à lui. Sa nature restait bien sûr toujours aussi ternie par ses expériences rarement joyeuses, mais une présence aimable et amicale était parmi ce qui pouvait lui arriver de mieux dans sa vie. Si seulement il n'avait pas eu tous ces plans pour le futur... Il était trop tard pour reculer. Mais il savait au moins qu'il avait maintenant une bonne raison de se préserver.

Si l'argent ne lui achetait pas le bonheur, au moins, il pourrait préserver S. , et c'était déjà ce qui comptait pour lui. S'il était trop tard pour lui, il n'était pas trop tard pour elle, et il pouvait y faire quelque chose. Il pouvait la protéger, la loger, lui offrir une vie normale... Qu'elle soit acceptée par ce monde sans aucun souci et que personne ne la regarde jamais comme quelqu'un de rejeté ou différent. C'était désormais ça, son objectif, désormais... En plus de faire prospérer ses activités, bien sûr, mais cette fois ce n'était pas par besoin d'argent ou par malveillance qu'il agissait...

... c'était par compassion.

Elle hocha la tête et continua à sourire. Ce que dit Akando lui rappelait les enregistrements. Le dernier enregistrement, celui qui lui était directement destiné. Comme un écho, comme si Akando disait ce que sa créatrice aurait voulu lui promettre. *J'aurais voulu faire autrement, rester avec toi----* Elle secoua la tête. Elle connaissait les enregistrements par cœur, ils étaient gravés dans sa mémoire, mais elle ne voulait pas penser à ce qu'ils disaient. Pas tous.

"Alors appelle moi Sif."

Cette gratitude était étrange. Elle avait une dette envers Akando, mais au lieu de vouloir la régler elle était juste contente. Heureuse. Quoi qu'il arrive, elle avait quelqu'un qui l'avait acceptée en sachant la vérité, donc elle pouvait être acceptée de s'importe qui d'autre. Elle avait un endroit où revenir se recharger en sécurité, où ranger ses affaires. Un chez-moi. Et elle avait quelqu'un avec qui parler, quelqu'un avec qui parler la mettait de bonne humeur et qui était prêt à l'aider sans rien demander. Un ami. Elle ne trouvait pas de synonyme cette fois. Pas même de définition. Mais elle savait que c'était ça. Un ami. Comme ceux du héros de dessin animé qui l'avaient aidé à vaincre le méchant. Elle n'avait pas de méchant à affronter, et elle n'en voulait pas, mais peut-être qu'un jour elle n'aurait pas le choix. Elle serait peut-être confrontée à des problèmes. Et elle pourrait compter sur Akando. Le contraire aussi. Les amis s'entraidaient dans les deux sens. Et ils se le promettaient toujours.

"Toi aussi, si un jour tu as besoin d'aide, je viendrais t'aider. Sauf si il faut faire du mal à quelqu'un."

À l'entente de ces phrases, le cœur d'Akando fondit tandis qu'il souriait un peu. Il sentait une grande paix l'envahir, mais aussi une tranquillité qu'il n'avait pas éprouvé depuis assez longtemps. Il se sentait un peu plus léger, mais aussi légèrement heureux, ce qui changeait de son quotidien. Il se sentait naître une âme de protecteur et d'égide, celle de quelqu'un capable de donner sa vie pour protéger une femme qu'il considérait comme ce qui se rapprochait le plus d'une famille.

C'est alors qu'il suivit une impulsion qui lui venait droit du cœur et la prit dans ses bras, fermant les yeux, souriant un peu en réprimant une petite larme qui naissait au coin de ses yeux, lui parlant alors étonnamment gentiment


Il se souvenait de sa sœur qui avait disparu du jour au lendemain. Il n'avait aucune idée de ce qui avait pu lui arriver, mais il avait toujours vécu ça comme un abandon cruel et impitoyable. La solitude pourtant semblait se terminer avec elle, et il savait désormais qu'il avait quelqu'un sur qui compter et quelqu'un qui pouvait compter sur lui. Akando resta un moment dans ses bras, avant de se détacher, essuyant discrètement la petite larme presque invisible au coin d'un de ses yeux.

Il ne pouvait pour autant pas cesser ses activités criminelles : il était trop tard. Mais au moins, il savait désormais qu'il y avait quelqu'un pour qui il devait éviter de prendre des risques. En temps normal il aurait appelé ça une faiblesse, mais cette fois, il n'aurait aucun mal à considérer ça comme quelque chose de bien dans sa vie. Sa seule crainte était d'être abandonné à cause de sa nature tapageuse et pas toujours moralement parfaite. On pouvait lire cette légère peur dans ses yeux, même s'il tentait de la contenir au mieux.

Elle resta immobile quand Akando la prit soudainement dans ses bras. C'était un geste d'affection. Quelque chose que les gens faisaient pour se signifier qu'ils s'appréciaient. Pas une agression. Elle n'avait pas besoin de fuir, mais elle ne savait pas comment réagir. Pourtant, elle savait que c'était un geste commun. Encore quelque chose qu'elle ne savait pas, quelque chose qui lui manquait. Elle ne s'en était pas rendu compte avant, mais elle ignorait sans doute beaucoup de choses sur la façon dont elle devait se comporter pour être normale.

La remarque murmurée par Akando lui laissa ce même sentiment. Une sœur. Individu de sexe féminin issu des mêmes parents que l'individu de référence. Elle n'était pas issue des mêmes parents qu'Akando. Elle n'était issue d'aucun parent. Elle n'était la sœur de personne. Pourquoi Akando dirait-il quelque chose d'aussi évidemment faux ?

"Je ne peux pas être ta sœur. Nous n'avons pas les même parents. Je n'ai pas de parents. Seulement des créateurs que je n'ai jamais vus."

Elle plongea son regard dans le sien quand il s'écarta, attendant qu'il s'explique. Qu'il explique tout court. Mais elle perçut quelque chose dans le regard d'Akando. Yeux humides. Paupières légèrement closes et crispées. Signes de peur. De quoi avait-il peur ? Elle n'aimait pas lire la peur sur le visage des gens. La dernière fois… Elle tourna la tête pour ne pas avoir à regarder, à se souvenir. Elle se souvenait de tout. Trop bien. Et pourtant elle ignorait trop de choses qu'elle aurait du savoir.

Sur l'écran, un nouvel épisode avait commencé. Une série différente, avec des vrais acteurs cette fois. Elle la connaissait aussi, mais moins bien. Elle ne se souvenait pas de cet épisode. Des gens qui se faisaient avaler par leurs télévisions. Bien dans l'esprit de la série, aucune crédibilité scientif… Non, elle avait entendu ça quelque part. Pendant une longue seconde elle remonta un à un ses souvenirs depuis son réveil à Iteku, évitant le moment où elle avait écouté l'enregistrement. Là, trois jours plus tôt, sur une des émissions d'information. Quand le présentateur avait parlé de Noerphilie, il avait mentionné des gens entrant dans des écrans. C'était impossible. Elle le savait. Les écrans étaient des objets matériels générant des radiations lumineuses de longueurs d'ondes variables afin de créer des tâches de couleurs prenant les formes et nuances exactes des images à représenter. Pas des… Elle ne connaissait aucun mot qui convenait. Mais le présentateur avait l'air si sérieux quand il avait dit ça, et la présentatrice avait confirmé ses propos. Encore quelque chose qu'elle ne savait pas.

"Qu'est-ce que la Noerphilie ?"

Noerphilie... Un monde qu'il n'était pas sûr d'apprécier tant que ça. La bas, n'importe quel zélé trop investi dans sa doctrine personnelle pouvait hériter de capacités lui permettant de changer le monde autour de lui. Une terre de rêve pour certains, une terre de chaos pour lui. Mais il lui fallait rester objectif : son idéologie personnelle sur ce lieu ne devait pas interférer. Il se contenterait donc de lui répondre simplement mais concrètement sur ce qu'il voyait comme un monde plus dangereux que bénéfique.


Il avait tenté de ne pas modeler son jugement. S'il voyait Noerphilie comme une nuisance, il ne voulait en revanche pas imposer un tel avis à Sif. Pas à elle, en tout cas. C'était un être rationnel qui cherchait les preuves au delà des opinions, alors ça ne servait à rien et ça causerait plus de mal que de bien de lui imposer son point de vue, et il en prenait pleinement conscience. Pour autant, on sentait une légère aversion dans sa voix envers ce monde, malgré ses tentatives pour ne pas la faire paraître.

Il fallait dire qu'ayant vécu dans un monde sans justice et n'y croyant plus depuis longtemps, le concept même d'un endroit aussi chaotique était à la fois pour lui un endroit utopique pour les marginaux mais aussi un paradis pour toute la caste criminelle et anarchique qu'il répugnait plus que tout. Un lieu idéal pour laisser la malfaisance s'exprimer au détriment de la justice et de l'ordre. Et ça, c'était pour lui le premier pas vers la décadence et la dégradation du monde qu'il connaissant.

Et au vu de son opinion sur ce qu'était déjà le monde, c'était plutôt quelque chose de négatif...

Elle enregistra les informations, un souvenir de plus dans la banque de donnée de sa mémoire. Les affirmations d'Akando correspondaient à ses souvenirs des émissions sur les écrans de la ville. En comparant les deux elle déduisit que les portails étaient les écrans. *Des gens rentrent dans des écrans chaque jour, même en pleine rue - - et on se retrouve dans un monde parallèle* Mais ça ne correspondait pas à ce qu'elle savait du monde. Les écrans étaient des objets matériels générant des radiations lumineuses de longueurs d'ondes variables afin de créer des tâches de couleurs prenant les formes et nuances exactes des images à représenter. Pas des portails. Ce n'était pas possible. Pourtant tant de gens y croyaient. Et Akando avait dit quelque chose d'étrange. Un Persona. Un Persona. *Dans les fichiers, ils appellent ça un Persona - - Un robot avec un Persona, ça veut dire qu'il a conscience de soi et qu'il se conduit comme il pense que les autres attendent qu'il se conduise * Non. La définition d'Akando était différente. Deux définitions. Des androïdes avec des Personas. Conscience de soi. Accompagnés. Accompagnés. Des androïdes de combat. Kirijo. Le groupe Kirijo. Les premiers à avoir employé le terme. Des androïdes de combat. Accompagnés. Des capacités étranges et potentiellement dangereuses. Tout fonctionnait. Et elle était inspirée des modèles Kirijo. Pouvait-elle avoir un Persona ? Un autre être représentant le contenu de son âme ? Elle secoua la tête. Les informations s'assemblaient sans qu'elle ait à se concentrer. Elle ne pouvait pas avoir raison. C'était impossible. Et elle n'avait pas besoin de ça. Elle avait déjà des capacités étranges et potentiellement dangereuses. Pas potentiellement. Elle leva son bras, tournant son poignet vers elle, et posa le regard dessus. Le souvenir de la lame rouge de sang sortant de la gorge de… Non. Ne pas y penser. Ne pas s'en souvenir. Elle était conçue pour mener une vie normale. Elle enfouit sa main sous sa robe.

"Tu pourrais me montrer ? Pour que je me fasse mon idée moi-même en m'y rendant ?"

Son regard n'avait pas bougé, fixant désormais le vide. Elle avait besoin de voir. De savoir. De comprendre. Ce qu'était la Noerphilie. Ce qu'était un Persona. Et le rapport entre elle et ce monde alternatif. Ses pensées tournèrent en rond, revenant à ses interrogations. Une autre question s'en dégagea cette fois.

"Est-ce que tu connais le Groupe Kirijo ?"

Aller à Noerphilie... Il savait bien qu'il n'avait qu'à passer à travers sa télévision avec elle pour s'y rendre. Un geste simple, mais qui pourrait avoir un impact sur l'androïde et qui lui ferait découvrir un autre monde. C'était un endroit qui pouvait la changer en bien comme en mal, mais c'était un droit qu'elle avait de découvrir ce lieu et de le vivre. Il fallait un peu arrêter de la considérer comme un être à éduquer et plus comme un être humain... Et ce fut ce qui changea sa décision. Il répondit d'abord à sa dernière question, toutefois


Alors qu'il prenait un dernier temps pour réfléchir à sa décision pleinement, il finit alors par éteindre sa télévision, se levant en se préparant un peu... Aller à Noerphilie demandait toujours de passer par un écran, n'importe lequel, comme celui-ci. Il se mit alors face à lui, prenant la main de Sif


Sa vraie forme... À Iteku, les apparences étaient mixtes, mais à Noerphilie, il était quelqu'un à l'apparence et à l'instinct inquiétants et effrayants. La cape, le masque, l'armure... Rien de cela ne contribuait à inspirer la moindre confiance envers qui que ce soit. Et pourtant, il gardait espoir en tous ces projets. Mais il devait au moins croire en son jugement... Si elle ne voulait plus de lui à cause du reflet de son âme, au moins, il aurait sa réponse. C'était à elle de décider.

Dans l'armement. Elle hocha la tête pour signifier qu'elle avait enregistré la réponse. Elle aurait du le déduire. Un groupe qui fabrique des machines pour le combat. Mais elle n'était pas comme ça. Elle n'était pas comme ça. Elle était faite pour vivre une vie normale. C'était son but. Sa raison d'être. Pas le combat. Pas le meurtre. Non… Elle voulut serrer les doigts, un geste discret qui lui permettrait de se concentrer sur autre chose de du traitement d'information, mais Akando lui prit la main à ce moment-là et elle se retint. De nouvelles informations pour effacer les précédentes. Signification du geste. Prendre la main. Signe d'attachement OU moyen de guider quelqu'un OU utilisé pour ne pas être séparé d'une personne en environnement instable. La seconde définition correspondait mieux à la situation. Akando voulait la guider quelque part. Vers la Noerphilie. Il venait d'éteindre la télévision. Rapport ? Probable. En accord avec ce qu'elle savait de la Noerphilie. Elle hocha la tête. Ignora ce qu'elle ne comprenait pas. Sa vraie forme ? Akando avait une forme humanoïde classique, avec un niveau de variation standard, comme toutes les personnes normales. Du moins au niveau de la tête, elle ne pouvait définir avec précision pour le reste de son corps en raison des vêtements qui le couvrait, mais rien ne laissait penser qu'il ait une forme atypique.

"Allons-y."

L'écran. Rentrer dans l'écran. Information incomplète. On ne rentrait pas dans un écran comme on entrait dans un bâtiment. Il n'y avait pas de porte. Elle repassa encore ses souvenirs des émissions d'information. Rentrer dans l'écran. Autre monde. Persona. Shadow. True Self. Là ! En arrière plan. Une image. Quelqu'un touchant un écran avec la main et disparaissant. Impossible. En désaccord total avec ce qu'elle savait du monde. Mais pas avec ce qu'elle savait de la Noerphilie. Il fallait toucher l'écran pour entrer en Noerphilie ? Faire quelque chose de plus ? Elle pouvait essayer. Aucun risque à toucher un écran éteint. Elle tendit la main, paume tendue vers la surface noire. Juste la toucher. Elle avança la main jusqu'à ce qu'elle entre en contact avec l'écran. Aussitôt elle se sentit tirée en avant. Chute dans le vide. Comme un tunnel, noir et jaune, se tordant au fil de son passage...