Ma vie n’a jamais été bien heureuse, jamais bien triste non plus. La vie de tout un chacun, avec ses joies et ses peines, ses événements, ses déboires, ses coups du sort.

Sous la pression familiale, j’ai terminé des études qui ne me plaisaient pas, puis trouvé un boulot qui ne me convenait pas. A côté de ça, je fréquentai des gens qui ne me correspondaient nullement, tout en m’affirmant chaque jour que tout cela m'était égal.

Vous voyez, pas de quoi fouetter un chat.

Les choses ont pris une tournure bien plus intéressante depuis l'annonce. L’apparition de ce nouveau monde, cet Eldorado de rêves à venir empli de promesses futures. Il n’y avait qu’à tendre la main, au sens propre du terme.

Je l’ai fait, et depuis ce premier pas vers un inconnu tentateur, je sens se relâcher autour de moi le canevas contraignant d’un quotidien sans saveur.
Je me perds peu à peu avec bonheur dans cette myriade de possibles qui s’étendent obligeamment sous mes yeux.

Et puis, surtout, maintenant, il y a Ruka.

Dans le fond. J’ai toujours su que j’étais mauvaise. Plus noire que blanche, et certainement pas grise. Ça tombe bien, je n’aime pas les dégradés.

La première fois, j'étais perdue dans cet ailleurs si différent de tout ce que je connaissais. Ma rencontre avec Ruka n’a été qu’une confirmation brutale de tout ce que je pressentais, bien que lui soit entièrement noir, sans aucune nuance. Il est l’orage qui subitement s’empare de la pureté du ciel et la transforme en un clair-obscur ambigu. Un mal nécessaire. Mon mal personnel.

Ne vous laissez pas entêter par la grâce de son sourire. Sous son apparence séductrice et aimable, Ruka n’est que méchanceté pure. Je retrouve au plus profond de ses yeux noirs ce que je sais se cacher en moi, les failles latentes qui sans cesse menacent de me submerger. Pourtant, chaque fois que je sens son appel, ou, plus vraisemblablement, que je crois l’entendre, mon impatience se fait plus grande encore de le retrouver. De perdre avec lui ce qu’il peut me rester de bon sens.

Sans conteste, ce miroir déformant pourtant si fidèle me fascine. Certains qualifieraient cette relation de malsaine. Comme je les comprends. Moi-même, l’intensité des sentiments qui me traversent à la simple évocation de Ruka m’effraie. Et pourtant, pourtant, j’en suis venue à aimer ce monde nouvellement révélé et ses dangers bien plus que celui que je connais.